19:18 - Mardi 3 décembre, 2024

- 1. Jumādā al-Ākhira 1446

Des contradictions entre les textes ?


Allah le Très Haut dit : Ne méditent-ils donc pas sur le Coran ? S’il provenait d’un autre que Dieu, ils y trouveraient certes maintes contradictions ! [4;82]. Il n’y a au sein des textes du Coran ou de la Sounnah aucune contradiction sur un quelconque point de fondement. Sur d’autres sujets, secondaires, il peut arriver que l’on soit confronté à une contradiction entre des hadiths. Le plus souvent ces contradictions ne sont qu’apparentes et ne résistent pas à l’analyse critique. Al Souyouti a recensé plus de cent règles d’analyse des textes en apparence contradictoires dans son livre Tadrib al rawi. Pour faire simple nous pouvons dire qu’en général, les contradictions peuvent être dues à :

- différents niveaux d’authenticité (authentique/non-authentique ou authenticité controversée),

- une différence chronologique (un texte est un abrogé par autre plus tardif),

- une différence de contexte (un texte est valable dans un contexte et un autre dans un autre contexte),

- une différence quant au niveau d’application (un texte a une portée générale et un autre une portée restrictive).

 

Illustrons ces règles par deux exemples.

La mère des croyants, Oum Salama relate ainsi qu’un jour qu’elle était en compagnie du Prophète (paix et salut sur lui) et de son épouse Maymouna, arriva Ibn Oum Maktoum, qui était non-voyant. Cela se passait après la prescription du hijab. Le Prophète (paix et salut sur lui) demanda alors à ses épouses de se cacher de lui, ce à quoi elles objectèrent qu’il s’agissait d’un homme aveugle et donc incapable de les reconnaître. Le Prophète (paix et salut sur lui) leur aurait alors répondu : ‘êtes-vous vous aussi aveugles et incapables de le voir ?’. Al Tirmidhi et Abou Dawoud rapportent chacun ce hadith et le considèrent comme bon et authentique. Ce hadith paraît indiquer qu’il n’est pas permis pour la femme de regarder un homme. Un autre hadith rapporte pourtant que le Prophète (paix et salut sur lui) a recommandé à Fatima Bent Qays d’aller passer sa période de viduité suite à son divorce, chez ce même Ibn Oum Maktoum, en précisant qu’elle serait plus à l’aise chez lui du fait qu’il ne pouvait pas la voir. Ce second hadith rapporté par Al Boukhari dans son Sahih montre, contrairement au premier, qu’il n’y a pas de mal à ce que la femme voit un homme sans arrière-pensées. L’Imam Al Boukhari confirme cela dans un chapitre qu’il a intitulé : Le fait pour la femme de regarder les Abyssins ou autres sans arrière-pensées, et dans lequel il rapporte cette parole de la mère des croyants Aïcha : j’ai vu le Prophète (paix et salut sur lui) me cacher de son manteau tandis que je regardais les Abyssins danser dans la mosquée. Mouslim rapporte également ce dernier hadith. Le Qadi Iyad commente ce hadith en disant qu’il est permis aux femmes de regarder les actions d’hommes étrangers, et qu’il est réprouvé uniquement qu’elles regardent leurs attraits ou qu’elles aient des arrière-pensées. Comment arbitrer alors entre le premier hadith et les deux suivants ? Le premier arbitrage peut être fait selon la règle d’authenticité. En effet, le premier hadith comporte une faiblesse de taille – un rapporteur inconnu – dans sa chaîne de transmission. C’est pour cela que l’Imam Al Dhahabi considère que le hadith d’Oum Salama est faible. Si l’on considère cet avis, ce sont les deux autres hadiths qui l’emportent. Si l’on suppose maintenant, que le premier hadith est authentique comme l’ont estimé Al Tirmidhi et Abou Dawoud, on peut alors concilier les textes en disant que la prescription qui en ressort – la réprobation de regarder la personne de sexe opposé – ne s’applique qu’aux épouses du Prophète (paix et salut sur lui) de par leur statut particulier, tandis que la seconde – l’autorisation du regard sans arrière-pensées – est générale et s’applique au reste des femmes. C’est l’interprétation qu’a fait l’Imam Al Qourtoubi dans son Tafsir du Coran, après avoir lui aussi émis des doutes sur l’authenticité du hadith d’Oum Salama.

Un autre exemple pourrait illustrer notre thème de ce mois. Il s’agit de l’autorisation ou non, pour les femmes de visiter les tombes et/ou de suivre les cortèges funéraires. Certains hadiths semblent établir qu’il est interdit pour les femmes de visiter les cimetières ou de suivre les cortèges funéraires. Abou Hourayra rapporte par exemple que le Prophète (paix et salut sur lui) a maudit les visiteuses des tombes [Ahmad, Ibn Majah, Al Tirmidhi, Ibn Hibban]. Al Tirmidhi juge ce hadith bon et authentique. Dans un autre hadith le Prophète (paix et salut sur lui) a dit : je vous avais interdit de visiter les tombes, visitez-les désormais [Mouslim]. Le degré d’authenticité de ce second hadith est supérieur à celui cité juste avant. Par ailleurs, l’énoncé prouve qu’il est postérieur au premier : je vous avais interdit auparavant, et vous y autorise désormais. Dans un autre hadith rapporté aussi par Mouslim, Aïcha a demandé au Prophète (paix et salut sur lui) quelle invocation devait-elle formuler en visitant le cimetière, ce à quoi le Prophète (paix et salut sur lui) répondit : dis : que la paix soit sur les croyants… et ne confirmant absolument pas une quelconque interdiction. Anas rapporte également qu’un jour le Prophète (paix et salut sur lui) passa auprès d’une femme qui se lamentait auprès d’une tombe. Le Prophète (paix et salut sur lui) l’enjoint à faire preuve de patience et ne réclama pas qu’elle s’en aille. Ce dernier hadith est rapporté par Al Boukhari et Mouslim.

D’autres textes pourraient appuyer l’un ou l’autre des avis, mais les textes démontrant qu’il est permis aux femmes de visiter les tombes de leurs proches sont plus nombreux et plus authentiques. Ce qu’il ressort de cette analyse, est que le Prophète (paix et salut sur lui) a dans un premier temps réprouvé que les femmes visitent les cimetières, et ce du fait, de la fâcheuse habitude qu’avaient les femmes arabes de la Jahiliya d’exagérer dans les pleurs et les cris lors des enterrements et en visitant les tombes de leurs proches. Oum Attiya confirme qu’il nous avait été interdit de suivre les cortèges funéraires mais l’interdiction n’était pas formelle [Al Boukhari & Mouslim]. Il s’agissait donc d’une réprobation dans les premiers temps de l’Islam, le temps pour les musulmanes de changer leurs habitudes. Dans un second temps, le Prophète (paix et salut sur lui) a autorisé aux femmes ce genre de visites occasionnelles afin qu’elles aussi puissent méditer et se souvenir de la mort.

Nous avons donc vu au travers de ces deux exemples comment une contradiction apparente entre des textes est aisément levée par une analyse plus approfondie.

Bien entendu, il faut avoir une bonne connaissance des textes pour effectuer ce genre d’étude. Raison pour laquelle, il nous est demandé de nous référer aux savants en matière d’interprétation : demandez aux gens du savoir ce que vous ignorez [16;43].


Rubrique: Bien comprendre la Sounnah