11:58 - Samedi 23 novembre, 2024

- 21. Jumādā al-Ūlā 1446

Le hadith entre sens littéral et sens figuré


Allah Glorifié soit-Il dit au sujet du jeûne de Ramadan : mangez et buvez jusqu’à ce que se distingue, pour vous, le fil blanc de l’aube du fil noir de la nuit. Puis accomplissez le jeûne jusqu’à la nuit [2;187]. Suite à la révélation de ce verset, le compagnon ‘Adi Ibn Abi Hatim mit sous son oreiller deux fils, l’un de couleur blanche et l’autre de couleur noire, puis les comparait durant la nuit. Il ne démarrait finalement son jeûne que lorsqu’il y avait suffisamment de lumière pour qu’il puisse les distinguer. ‘Adi alla trouver le Prophète (paix et salut sur lui) pour le tenir informé de ce qu’il avait entrepris pour se conformer à la directive Divine. L’Envoyé de Dieu (paix et salut sur lui) lui dit alors : ton oreiller est donc bien large ! ce verset évoque simplement la distinction entre la clarté du jour et l’obscurité de la nuit [Al Boukhari]. Dans ce hadith, nous voyons comment le noble compagnon, Ibn Abi Hatim, a pris au sens littéral un texte du Coran qui avait en fait un sens figuré, imagé. En effet, ce verset, comme d’autres, au sein du Coran, utilise un sens métaphorique, car la séparation entre le jour et la nuit au moment de l’aube, laisse comme un fil qui occupe tout l’espace du ciel, d’où la remarque ‘ton oreiller est donc bien large’.

Ceci dit, le sens figuré ou majaz en arabe est utilisé parfois dans le Coran, et également dans la Sounnah. Être capable de distinguer quand le Prophète (paix et salut sur lui) utilise un sens figuré, participe à la bonne compréhension de notre religion. À l’inverse, il faut bien prendre garde de ne pas considérer comme métaphore tout ce qui dépasse la raison ou à trait aux réalités de l’au-delà ; comme l’ont fait certains courants de pensée, les moutazilites notamment. Notre présent article ne traitera que de certains exemples de sens figurés dans la Sounnah. Nous tâcheronsde revenir ultérieurement sur le sujet du sens figuré dans le Coran et sur celui des mutazilites, incha Allah.

Parfois, le sens figuré est subtil, comme lorsque l’Envoyé de Dieu (paix et salut sur lui) annonça que la première des mères des croyants qui mourrait après lui était celle qui avait le bras le plus long. Les femmes prirent alors cette parole à la lettre et se mirent à comparer la longueur de leur bras afin de savoir laquelle d’entre elles aurait la chance de retrouver la première le Prophète (paix et salut sur lui) Or c’était Sawda qui avait le bras le plus long, pourtant ce fut Zaynab Bint Jahch qui mourut la première après le Prophète (paix et salut sur lui). C’était à ce moment que ces femmes comprirent le sens réel de la parole du Prophète (paix et salut sur lui) qui évoquait en fait la générosité. En effet, Zaynab était connue pour être la mère des pauvres et la plus généreuse des femmes, elle était la plus prompt à tendre la main pour aider autrui et avait donc le bras plus long que les autres femmes. C’était une métaphore de la part de l’Envoyé de Dieu (paix et salut sur lui).

Certains se sont également trompés quant au sens du hadith Qoudousi, dans lequel le Très Haut Glorifié soit-Il dit : Si Mon Serviteur se rapproche de Moi d’un empan, Je me rapproche alors de lui d’une coudée ; s’il se rapproche de moi d’une coudée, Je me rapproche de lui d’une brasse ; s’il vient vers Moi en marchant, J’irai vers lui en toute hâte [Al Boukhari & Mouslim]. Si l’on prend le hadith au sens littéral, on pourrait croire que Dieu se déplace physiquement vers cet individu qui s’efforce de Lui plaire en pratiquant de bonnes actions et en faisant le bien autour de lui. C’est ce qui a conduit certains esprits trop rationalistes (l’Islam est rationnel), parmi les musulmans, à rejeter ce hadith et d’autres du même genre, en dépit de son authenticité incontestable. Or ce hadith a un sens spirituel imagé, et signifie que comme Dieu multiplie la valeur et le mérite des bonnes actions, de dix à sept cent fois et plus encore, Il élèvera en degrés celui qui chemine vers Lui plus que ce qu’aurait mérité l’effort consenti, comme un ascenseur ou un escalator permet à celui qui fait l’effort de se placer dessus de s’élever sans se fatiguer.

Dans le même esprit, le Prophète (paix et salut sur lui) nous a appris que le Paradis est sous les pieds de nos mères [Ahmad & Al Nassaï : Sahih] signifiant que le fait de prendre soin de sa mère, et d’être à son service, et ce quelle que soit sa religion, fait partie des œuvres qui font rentrer au Paradis. Le Prophète (paix et salut sur lui) nous a également dit qu’entre sa chambre et sa tribune (minbar), il y avait un jardin d’entre les jardins du Paradis [Al Boukhari & Mouslim], et que le Tigre et l’Euphrate prenaient leur source au Paradis [Al Boukhari]. Ibn Hazm – pourtant connu pour son penchant au littéralisme – dit en commentant ces hadiths : le Coran et l’évidence constatée par les sens prouvent clairement que l’on ne peut pas comprendre ces hadiths au sens littéral. Ces hadiths visent à mettre en valeur cet endroit, et le mérite qu’il y a à y prier, et le mérite de ces fleuves dans ce qu’ils apportent de bienfaits aux gens des régions qu’ils traversent. Tout bien licite dans cette vie est comme un échantillon de ce qu’il y a au Paradis, et tout malheur est comme un échantillon de ce qu’il y a en Enfer.

Dans un autre registre, on rapporte que l’Envoyé de Dieu (paix et salut sur lui) a dit : être transpercé avec une aiguille en fer vaut mieux pour vous que de toucher une femme qui ne vous est pas licite [Al Tabarani: hassan]. Nombreux sont les savants qui se sont appuyés sur ce hadith pour déclarer illicite le moindre contact physique entre homme et femme, non marié et non lié par un lien de parenté. S’il n’y a aucun débat sur la prohibition de ce genre de contact dès lors qu’il peut être accompagné par un désir de l’un ou de l’autre, peut-on s’appuyer sur ce seul hadith pour dire qu’une simple poignée de main parfaitement cordiale, dans un contexte familial ou professionnel est interdite ? Que cela ne se fasse pas dans certaines cultures cela est entendu ; mais peut-on considérer que cela est interdit religieusement dans tous les cas, lorsque l’on sait par exemple que n’importe quelle servante de Médine pouvait prendre le Prophète (paix et salut sur lui) par la main et l’emmener là où elle le voulait [Al Boukhari] ? Pour nous, la réponse est non. En général, il vaut mieux s’abstenir de tout contact, et l’on peut très bien se contenter d’un geste de la tête ou de la main pour se saluer respectueusement, comme le font certains peuples asiatiques par exemple. Pour autant, formuler l’interdiction sur la base d’une compréhension littérale du hadith nous paraît ici abusif. En effet, le ‘toucher’ dont il est question dans ce hadith et qui justifie la menace du Prophète (paix et salut sur lui) vise plutôt le rapport extra-conjugal comme cela est confirmé par de nombreux versets coraniques, comme cette parole de Marie : comment enfanterais-je alors qu’aucun homme ne m’a touchée [3;47].


Rubrique: Bien comprendre la Sounnah