Allah nous fait répéter chaque jour : C’est Toi [seul] que nous adorons, [1;5] et dit aussi : Ô Hommes, adorez Votre Seigneur [2;21] Nous avons envoyé dans chaque communauté un Messager : Adorez Allah et écartez-vous de tout ce qui est adoré en dehors de Lui [16;36] Et nous n’avons envoyé avant toi aucun Messager à qui Nous n’ayons révélé : point de divinité en dehors de Moi. Adorez-Moi [21;25]. Ces versets évoquent la notion de servitude que tout croyant doit avoir envers Dieu [al ouboudiya]. Celle-ci revêt une importance particulière dans le Coran. Nous allons tenter de traiter de ce sujet dans cet article.
Ibn Al Qayyim distingue tout d’abord la servitude de contrainte, à laquelle nous tous sommes astreints, et celle de l’obéissance, qui est choisie par l’individu disposant de son libre arbitre. Aucune créature sur terre n’échappe à cette règle : tous ceux qui sont dans les cieux et sur la terre se rendront auprès du Tout Miséricordieux en serviteurs [19;93]. Toute créature est, qu’elle le veuille ou non, parmi les sujets de Dieu, vivant dans Son royaume, jouissant de Ses dons, obéissant aux Lois générales qui régissent la matière et les corps. Dans ce sens tout être vivant est un serviteur de Dieu.
Ceci dit, l’être humain se distingue dans la création du fait du libre arbitre dont Dieu l’a doté. Il y a un ensemble de commandements bénéfiques pour lesquels Dieu nous a permis de choisir si l’on veut s’y soumettre ou non. C’est cela la religion. Ces commandements-là s’adressent à nos esprits et à nos cœurs. Les véritables serviteurs de Dieu sont donc ceux qui ont fait le choix de se soumettre à Lui, délibérément et par respect envers Ses ordres et Ses interdits. C’est cette dernière catégorie de serviteurs qu’évoque le Coran lorsqu’il dit par exemple : Les serviteurs du Tout Miséricordieux sont ceux qui marchent humblement sur terre… [25;63]. La servitude implique donc une relation privilégiée entre Dieu et Sa créature et renferme d’innombrables mérites.
Il faut par ailleurs comprendre que si le principe de servitude porte souvent une connotation négative et humiliante, puisqu’elle induit, entre deux êtres comparables, un rapport de dominant-dominé ; lorsqu’elle est annexée au Créateur Tout Puissant, elle devient sujette aux éloges. Malheur au serviteur du dinar, du dirham, dit notre Prophète (paix et salut sur lui)[Mouslim]. Malheur, pourrions-nous ajouter, à celui qui voue un culte à la statuette, au concept ou à l’idée qu’il a lui-même façonné ; malheur à qui voue un culte à son semblable humain, alors qu’il pourrait être en mesure de le surpasser s’il s’en donnait les moyens ; mais quel honneur que d’être le serviteur de Dieu, l’Être Parfait qui a tout créé ! En effet, c’est parce que le croyant décide de consacrer cette servitude envers Dieu et à nul autre qu’il gagne en liberté et en élévation. Par ailleurs, Dieu décrit Ses Messagers – qui sont les meilleurs des hommes- à maintes reprises, par le qualificatif de serviteurs pour leur faire éloge : et rappelle-toi David, Notre serviteur… [38;17] Et à David Nous fîmes don de Salomon, – quel bon serviteur !… [38;30]. Et rappelle-toi Job, Notre serviteur.. [38;41]. Jamais le Messie (Jésus) ne trouve indigne d’être serviteur de Dieu, pas plus que les Anges rapprochés [4;172] Louange à Allah qui a fait descendre sur Son serviteur (Mohammad) le Livre [18; 1]…
En outre, Dieu fait de la servitude choisie une qualité parfaite qui permet au croyant d’être parmi Ses rapprochés : Allah est doux envers Ses serviteurs. [42;19]. Dieu annonce à Son serviteur la sécurité lors du Jugement Dernier : Ô Mes serviteurs ! Vous ne devez avoir aucune crainte aujourd’hui ; vous ne serez point affligés [43;68], la bonne nouvelle du Paradis : Et à ceux qui s’écartent des faux dieux et refusent de les servir, tandis qu’ils reviennent à Dieu, à eux la bonne nouvelle ! Annonce la bonne nouvelle (du Paradis) à Mes serviteurs [39;17], et l’inefficacité de l’emprise du diable sur lui : Sur Mes serviteurs tu n’auras aucune autorité, excepté sur celui qui te suivra parmi les dévoyés [15;42].
La servitude comporte, par ailleurs, différents degrés. Cela signifie que parmi les musulmans, certains servent Dieu mieux que d’autres. Cela dépendra de l’œuvre de la personne et du savoir qui nourrit celle-ci. Le croyant voulant servir Dieu correctement, devra développer sa connaissance de Dieu (Son Essence, Ses Attributs, Ses Actes…) et sa connaissance de la religion : tout ce qui relève de Sa législation mais aussi de ce qui mène vers Lui et sa connaissance en terme de récompense et de châtiment. Quant à la pratique, le serviteur va se distinguer entre celui qui s’acquitte simplement de ses obligations et évite les interdits et celui qui en plus de cela, va s’acquitter de ce qui est recommandé, éviter tout ce qui est inutile pour le retour à l’Au-delà et va être scrupuleux vis-à-vis de ses actions. Ainsi y-a-t-il différentes formes de servitudes puisque chaque croyant va l’assumer en fonction de son degré. La forme la plus parfaite, étant comme le dit le Prophète (paix et salut sur lui) : le degré le plus élevé de la foi, c’est adorer Dieu comme si tu Le voyais. Car si tu ne Le vois pas, certes, Lui te voit [Al Boukhari & Mouslim].
Ibn Qayyim explique que pour accomplir ces degrés, la servitude se subdivise en trois axes que sont le cœur, la langue et les membres. Le cœur doit faire appel à la sincérité et à la véracité, en effet, Allah dit : On leur avait seulement ordonné d’adorer Dieu en étant sincères et dévoués dans leur culte… [98; 5]. Pour cela, il faut se conformer aux ordres d’Allah, s’abstenir de ce qu’il a interdit, se préparer à Sa rencontre, se préserver des maladies du cœur (la paresse, l’orgueil, la duplicité, l’envie…) et le nettoyer des passions.
Pour ce qui est des œuvres de la langue et des membres, il s’agit de s’appliquer à les préserver en se prémunissant de ce qui est nuisible comme la désobéissance, l’illicite, le futile, l’excès dans les plaisirs licites et de les utiliser dans ce qui est obligatoire et recommandé. C’est par exemple, en ce qui concerne la langue, la prononciation de l’attestation de foi et la récitation du Coran obligatoire dans la prière, le fait de s’éloigner des paroles injurieuses, s’adonner à la mention de Dieu (dhikr)… et en ce qui concerne les membres, c’est de s’acquitter de la prière, du jeûne, éviter l’excès dans le regard, de profiter de chaque occasion pour écouter le Coran…
Afin de mieux saisir l’application de la servitude dans le quotidien du croyant, attachons-nous à l’exemple du Prophète (paix et salut sur lui). Le Prophète (paix et salut sur lui) eut le choix entre devenir prophète-roi ou d’être prophète-serviteur, il (paix et salut sur lui) préféra le second choix : Je désire être un Prophète-esclave qui implore Dieu le jour où il a faim et qui Lui rend grâce lorsqu’il est rassasié [Ahmad]. Cela se manifesta bien sûr tout au long de sa mission. Il a refusé par exemple, que l’on exagère dans son éloge. Selon Abdoullah Ibn Massoud rapporte que le Prophète (paix et salut sur lui) reçut un homme qui se mit à trembler devant lui. Le Prophète (paix et salut sur lui) dit : Calme-toi. Je ne suis pas un roi, je ne suis que le fils d’une femme de Qouraych qui mangeait de la viande séchée [Ibn Majah & Al Hakim]. Il (paix et salut sur lui) a dit aussi : N’en rajoutez pas à mon sujet comme ont fait les gens du Livre avec le fils de Marie. Je ne suis qu’un serviteur, alors dîtes : le serviteur d’Allah et son Prophète [Al Boukhari]. Sa servitude envers Dieu se traduisait aussi dans son humilité envers son entourage, il (paix et salut sur lui) était au service de sa famille, il (paix et salut sur lui) se mêlait avec ses compagnons, s’asseyait avec eux, répondait à l’invitation des personnes de condition modeste… Sa servitude s’illustrait aussi dans la prière rituelle, durant laquelle il (paix et salut sur lui) lui arrivait de rester debout si longtemps que ses pieds en étaient gercés. Lorsque son épouse Aïcha lui demanda la raison de sa persistance alors que son Seigneur lui avait déjà pardonné ses « péchés » passés et futurs, le Prophète (paix et salut sur lui) répondit : Ne devrais-je pas être un serviteur reconnaissant ? [Mouslim].