3:48 - Dimanche 22 décembre, 2024

- 20. Jumādā al-Ākhira 1446

Aller voter ?


Le musulman, citoyen français, peut-il, doit-il s’intéresser à la politique, s’y engager ne serait-ce qu’en participant aux élections ? Question incongrue, déplacée même, pour certains, elle doit pourtant être posée. En effet, notre communauté musulmane est malheureusement connue pour son manque de participation aux élections et le peu d’intérêt qu’elle porte aux débats politiques. Cela est constaté, les taux d’abstention les plus élevés sont très souvent observés dans les quartiers où une grande partie de la population est musulmane. Les conséquences à ce manque d’implication sont nombreuses et désastreuses, nous le voyons chaque jour. À l’inverse, nous constatons aussi parfois, que dans les localités où les musulmans cherchent à s’investir dans la vie de la cité (la politique) la compréhension mutuelle et le dialogue sont favorisés, les droits de chacun et les libertés sont d’avantage respectés.

Si certains idéologues musulmans essaient aujourd’hui de donner une justification religieuse ou philosophique au désengagement de la communauté, nous ne sommes pas dupes ; celui-ci a avant tout une origine culturelle et historique : les premières générations d’immigrés musulmans n’envisageaient souvent pas de faire leur vie en France et ne s’intéressaient donc pas au débat politique, venaient de pays dans lesquels le peuple n’a pas son mot à dire dans la gestion du pays, et n’avaient enfin, souvent pas le droit de vote, faute de nationalité. Cette situation est désormais révolue : nous sommes partie prenante de la société française, pouvons voter et considérons la liberté d’expression et de participation aux débats de société comme un droit fondamental.

Nous ne contestons pas que le terme et/ou le principe de « démocratie » en tant que « pouvoir au peuple » peut être discuté d’un point de vue théologique strict – chez les musulmans et chez les adeptes d’autres religions – ou encore du point de vue philosophique. Certains l’ont fait et le débat se poursuit. Nous ne contestons pas non plus que ce système est toujours perfectible. Ceci dit, l’objet de notre présent propos est de savoir s’il est possible voire souhaitable, pour nous musulmans de participer aux élections en votant.

Nos oulamas ont listé parmi les principes des fondements du droit ceux qui autorisent et encouragent même les musulmans à se mobiliser pour voter. Citons le fait que « ce sans quoi ce qui est obligatoire ne peut être accompli devient à son tour obligatoire ». Or, nous savons que beaucoup de préceptes de notre religion ne peuvent être mis en pratique qu’avec l’aval des pouvoirs publics, or nous pouvons contribuer à choisir leurs représentants. Le deuxième principe est celui « d’obstruction aux prétextes conduisant à l’illicite ». Supposons qu’un candidat propose d’interdire le jeûne de Ramadan, ce principe exige de nous que nous nous positionnons contre lui et que nous lui obstruions la voie vers le pouvoir. Le troisième principe bien connu des oussouliyin est celui de « la recherche de l’intérêt général » qui nous oriente au choix du candidat dont le programme s’avérerait le plus profitable à l’ensemble de la société au sein de laquelle vivent les musulmans. Finalement, la « licéité » du vote et sa nécessité repose sur « l’intention qui accompagne l’acte » du votant, à savoir la recherche du meilleur ou à défaut du moins pire.

Si les déçus de tel ou tel parti sont invités à participer aux élections primaires de tel autre parti, alors nous ne devrions pas nous en abstenir ; d’autant que nous partageons avec la plupart des partis comme avec l’ensemble de nos concitoyens de nombreuses valeurs. Participer à ces élections est aussi un moyen de nous affirmer, de montrer notre implication, notre engagement, et peut-être aussi parfois notre exaspération vis-à-vis de certains discours populistes, haineux, stigmatisants, favorisant la division de la société.

Certains se demanderont pour qui voter ? Le vote doit se faire sur des critères aussi objectifs que possibles. Le choix du candidat doit reposer sur une connaissance même résumée de ses discours, ses actes, ses prises de positions et de son programme. Il n’y a pas de candidat parfait, loin de là. Peu sont irréprochables, quelque soit le scrutin. Il s’agit de rechercher son intérêt et celui de la collectivité comme évoqué plus haut, et/ou au moins d’éviter le pire.

Terminons enfin, en rappelant que l’Islam a ré-institué la croyance authentique et positive en le Destin : la croyance qu’Allah sait tout à l’avance mais qui exige en même temps de nous d’œuvrer sans négliger aucun acte. « Si tout est écrit, demanda un homme, à quoi bon œuvrer ? – Oeuvrez, rétorqua l’Envoyé d’Allah r, chacun trouvera aisé la réalisation de ce pourquoi il fut créé ». Le Destin dans l’Islam c’est donc de retrousser ses manches et faire tout ce qui est en notre pouvoir, par la permission d’Allah, pour obtenir ce qui nous est profitable et repousser l’épreuve et le dommage puis de dire, en voyant le résultat de ses œuvres : « Telle est la Volonté d’Allah ». Le Destin ce n’est pas, contrairement à la croyance devenue populaire chez les musulmans des dernières générations : baisser les bras, laisser les choses venir, être passif, en se disant : « de toute manière tout est écrit ! » (koulchi bi maktoub).

À chacun de nous de prendre ses responsabilités et de porter le souci des siens.


Rubrique: Bien comprendre l'Islam