Allah le Très Haut dit dans Son Livre : C’est ainsi que nous fîmes de vous une communauté du juste milieu afin que vous soyez modèles/témoins aux gens, tout comme le Prophète vous est modèle/témoin [2;143]. Après avoir décrit les qualités principales du groupe des justes [oudoul al khalaf], que sont l’adoption du principe de facilité[tayysir] dans la fatwa pour les sujets ayants traits aux points secondaires [fourou’], variables [moutaghayirat], et objets de divergences ; et du principe de douceur [tabchir] dans la prédication, visant à faire aimer Allah à ses serviteurs, et à leur faire aimer sa religion, en insufflant l’espoir dans leurs cœurs ; après avoir traité de la position équitable à adopter entre les courants de réformes salafis et les courants modernistes [tajdid] ; après avoir présenté brièvement le courant de réforme soufi et les reproches légitimes qui lui sont faits par lesoulamas salafis, entre autres ; nous poursuivons notre exposé en présentant la position du juste milieu vis-à-vis du soufisme, priant Allah de nous assister en cela afin que notre propos soit juste et conforme à ce qu’Il agrée.
Comme nous l’avons vu, le courant soufi est apparu dans les premiers siècles de l’Islam pour revivifier la spiritualité et l’éthique islamique, à une époque où le matérialisme et le rationalisme gagnaient les esprits des musulmans. Avec le temps, des déviations apparurent dans ce courant, et c’est ce qui se passe en général dans la plupart des courants au départ réformistes, lorsque les gens restent attachés à un nom ou à une étiquette, plutôt qu’aux idées, aux principes originels, et à la source pure et intarissable qui les avaient inspirés, à savoir la bonne compréhension du Coran et de la Sounnah authentique.
Le cheikh al Islam, Ibn Tayymiya, qu’Allah lui fasse miséricorde, s’est insurgé sa vie durant contre les exagérations des extrémistes, l’infiltration des imposteurs, et les interprétations des ignorants ; or à son époque, beaucoup d’entre ces gens, se réclamaient du soufisme. Pourtant cela n’empêche pas le Cheikh de faire preuve d’une grande objectivité et de reconnaître au soufisme ses qualités, lorsqu’il dit par exemple, dans les deux tomes de son Majmou’ al fatawa consacrés à la discipline spirituelle : Certains ont critiqué les soufis et le soufisme en disant que ces gens sont des innovateurs, opposés à la Sounnah, mais la vérité est qu’ils s’efforcent d’obéir à Dieu [...] Parmi eux on trouve les personnes les plus proches [de Dieu] grâce à leurs efforts. Il dit aussi : Les grands maîtres soufis sont bien connus et acceptés, tels que : Abou Yazid Al Bistami, Sayyed Abdel Qader Al Jilani, Al Jounayd, AlHassan Al Basri, Foudayl ibn Iyyad, Ibrahim Ibn Adham, Abou Souleyman al Darani, Ma’rouf Al Kalkhi, Sari al Saqti, Cheikh Hammad, Cheikh Aboul Bayan. [...] Ces grands soufis étaient les leaders de la communauté et ils appelaient à ce qui était juste et interdisaient ce qui était mauvais. Nous pouvons encore citer ce passage de son livre al ihtijaj bil qadar : En ce qui concerne les soufis, ils affirment l’amour (de Dieu), et ceci est plus évident chez eux que parmi les autres courants de l’Islam. La base de leur voie est simplement la volonté et l’amour. L’affirmation de l’amour de Dieu est bien connue dans le langage de leurs premiers et de leurs maîtres récents, comme cela est affirmé dans le Livre et la Sounnah et dans le consensus des prédécesseurs.
Le fidèle disciple d’Ibn Tayymiya et grand érudit, Ibn al Qayyim, que Dieu lui fasse miséricorde, a suivi la voie de son maître. Ainsi a-t-il commenté le livre Manazil al sa’irin du cheikh d’inspiration soufie Ismaïl al Harawi. Dans son commentaire, Madarij al salikin (Le sentier des itinérants), Ibn al Qayyim rapporte à la lettre les propos de celui à qui il prête en plusieurs endroits le qualificatif honorifique de ‘Cheikh al Islam’, le contredisant certaines fois, après avoir essayé toutefois de lui trouver des excuses ou d’expliquer certains propos ambigus ; et le soutenant et le louant d’autres fois, en essayant à chaque fois d’apporter des dalils, des textes extraits du Coran ou de la Sounnah, pour appuyer ses opinions. Ibn al Qayyim reproche, dans son commentaire[chapitre de l’espérance : paragraphe traitant des locutions extatiques] à ceux qu’il appelle les ‘tenants de la Sounnah’d’avoir rejeté en bloc les écrits et propos des soufis à cause de quelques paroles ambigües, il dit : Cela constitue une forme d’hostilité à l’égard des soufis, or si l’on devait rejeter les gens et nier leurs qualités à cause de quelques unes de leurs erreurs, ce serait la fin des sciences et des activités humaines. Quelques lignes plus loin, Ibn al Qayyim cite les propos justes, de grands oulamas soufis, notamment ceux de Soulayman Al Darani qui dit : Je n’accepte les paroles mystiques des soufis qu’après l’agrément de deux témoins irréprochables que sont le Livre d’Allah et la Sounnah,et encore ceux d’Al Jounayd : notre voie est régie par le Livre d’Allah et la Sounnah du Prophète, paix et salut sur lui, aussi celui qui n’apprend pas le Coran et ne mémorise pas le hadith ne doit pas être pris comme exemple.
Quant à Ibn al Jawzy, qu’Allah lui fasse miséricorde, s’il est connu pour lui aussi s’être opposé farouchement aux soufis déviants, et pour avoir même critiqué certains propos de l’Imam soufi Al Ghazaliy dans son fameux livre Talbis Iblis, entre autre. Cela ne l’a pourtant pas empêché de reprendre le livre al ihya fi ‘ouloum al dinn (La revivification des sciences religieuses), du même Al Ghazaly, pour en faire le commentaire, surtout en ce qui concerne l’authenticité des hadiths et des récits qui s’y trouvent, dans son Minhaj al Qassidin. Il reconnaît le mérite de cet ouvrage, bien que celui-ci contienne des récits controuvés, et des idées avec lesquelles Ibn al Jawzy n’est pas d’accord et dit en introduction de son commentaire : (…) ô aspirant sincère et novice, déterminé et résolu (…) tu as cherché quel livre bénéfique prendre avec toi durant tes moments de solitude (…) et voilà que tu as préféré le livre de al ihya et tu as remarqué comme il est unique en son genre et précieux en lui-même. Je vais donc composer pour toi un livre qui reprend l’essentiel de l’ihya et dans lequel je m’appuierai sur les traditions les plus authentiques et les plus notoires… Ce commentaire a ensuite été repris et abrégé par le savant Ibn Qoudama al Maqdissi. Ce dernier ouvrage a été traduit sous le titre Revivification de la spiritualité musulmane¸ dans lequel la précédente citation est reprise.
La position qui doit être la nôtre vis-à-vis du soufisme doit donc être une position médiane : puiser dans ses trésors en évitant ses erreurs. Cela est, grâce à Dieu, réalisable grâce aux travaux de ‘filtrage’ opérés par de nombreux oulamas modérés versés dans les sciences du hadith et dans les interprétations classiques et authentiques du Livre d’Allah. L’idéal pour la communauté, pour reprendre l’expression de nos savants, serait de ‘soufiser le salafisme et de salafiser le soufisme’, car le soufisme manque de la rigueur du salafisme dans les sciences de l’exégèse, du hadith, ou du fiqh et parce que le salafisme manque de la spiritualité, de la douceur et de l’esprit de tolérance du soufisme. Ainsi, verrait-on émerger un mouvement plus proche du message prophétique et capable avec la permission d’Allah de ramener la communauté à la bonne compréhension, aux sentiments, à l’éthique et aux œuvres de l’Islam des premiers jours.
Ceci étant, nous ne devrions pas nous attacher à ce genre de dénomination : soufis ou salafis. Allah le Très Haut dit : C’est Lui qui vous connait le mieux, depuis qu’Il vous créa de terre et quand vous fûtes des embryons dans le sein de vos mères. Ne vous attribuez pas des titres honorifiques, Il connait bien ceux qui Le craignent [53;32].Commençons simplement par essayer d’être à la hauteur et de mériter ce nom de ‘musulmans’ qu’Allah a choisi pour nous, ce sera déjà beaucoup.
Et Allah sait mieux !