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- 19. Jumādā al-Ūlā 1446

‘Abd Al Hamid Ibn Badis


benbadis3Nous avons vu dans nos précédents articles traitant des biographies des savants du mouvement de réforme contemporain que les bases de la pensée réformiste ont été posées entre la fin du 19ème et le début du 20ème siècle, avec notamment Jamal Al Din Al Afghani et Mohammed Abdou. Ce travail effectué, les savants, qui par la suite ont suivi ce mouvement, ont pu alors consacrer une place plus importante à l’action plutôt qu’à la simple réflexion. Parmi eux, l’un des plus éminents fut, sans aucun doute, l’Imam Abd Al Hamid Ibn Badis.

Ibn Badis est né en 1889, à Constantine, dans l’Est algérien. Durant son enfance, il y étudia les bases des sciences religieuses, de la langue arabe et mémorisa le Coran, avant de se rendre à Tunis pour parfaire ses connaissances en intégrant la prestigieuse université Al Zaytouna, où il obtint son diplôme au bout de quatre ans. Après un bref retour en Algérie, Ibn Badis décida d’accomplir son pèlerinage et songea à s’installer à Médine, mais un de ses maîtres lui recommanda plutôt de rentrer en Algérie où sa présence serait bien plus utile. Sur le chemin du retour il s’arrêta pourtant au Caire et y resta plus d’un an. C’est dans la capitale égyptienne qu’il adopta pleinement la pensée réformiste au contact de Rachid Rida, dont nous avons déjà exposé la pensée dans un de nos articles.

Avant d’aller plus loin, et étant donné le sens commun que revêt aujourd’hui le mot réforme, il convient d’en rappeler le sens afin d’éviter toute confusion. Ainsi, la définition de la réforme est le retour d’un ordre religieux à l’observation de ses règles primitives, afin de retrouver l’essence originelle de la Révélation et de rétablir sa forme la plus pure. La réforme ne consiste donc aucunement à modifier les sources, mais plutôt à en revivifier le sens à la lumière du contexte pour ne pas en trahir les objectifs et rester fidèle à l’esprit de la Révélation. Cela nécessite une compréhension profonde, intelligente et dynamique des textes se traduisant par des actions justes et conformes dans le fond comme dans la forme.

Ceci étant dit, en 1914, à la suite de son séjour en Égypte, Ibn Badis retourna donc en Algérie enrichi de ses rencontres et de ses expériences, il avait alors 25 ans. Il se mit au travail sans attendre en consacrant son temps à la transmission de son savoir. Ce n’est qu’au sortir de la guerre, lorsque la situation fut plus stable, que son engagement put prendre une tout autre dimension. Conscient que de simples cours dans sa mosquée ne suffiraient pas à changer les choses, il entama un projet de prédication global, nourri par la volonté de participer à l’éveil et au bien-être du peuple algérien.

À l’instar de ses prédécesseurs, Ibn Badis utilisa la presse pour diffuser ses idées avec la publication du journal d’opinion Al Muntaqid (Le Critique). Il y dénonçait les pratiques religieuses dévoyées et la passivité des algériens, préférant invoquer les saints plutôt que de se prendre en main et de s’en remettre à Dieu dans leurs actions. Il combattait donc le polythéisme et le maraboutisme, à mille lieues des enseignements de l’Islam. Dans le même temps, il critiquait les manquements du pouvoir, devenu arbitraire, et l’immobilisme des élites religieuses et intellectuelles figées dans le passé. Cela lui valut d’être interdit de publication, mais Ibn Badis ne se résigna pas pour autant, et quelques semaines plus tard seulement, il mit en place une nouvelle revue, Al Shihab (Le Flambeau), dans laquelle il poursuivra son œuvre.

En plus de dénoncer les dérives religieuses, Ibn Badis attachait une grande importance aux réalités socio-économiques et se préoccupait particulièrement des problèmes de pauvreté et d’illettrisme. Toutefois, il ne se contentait pas d’exposer les problèmes en espérant qu’un miracle vienne les résoudre ; il était un travailleur acharné, et l’une de ses forces était sa capacité de faire passer ses idées de la théorie à la pratique. Il s’efforçait de proposer des solutions et surtout de les mettre en application. Pour Ibn Badis, la réforme devait s’articuler autour de trois axes que sont la langue (arabe littéraire), l’esprit (éveil des consciences) et le cœur (spiritualité).

Il se consacra alors à l’action éducative, pilier du renouveau d’une nation, en créant des écoles dans les plus grandes villes d’Algérie. Il fit par ailleurs, ouvrir la première école pour jeunes filles de Constantine car l’instruction des filles était, selon lui, une condition nécessaire de la renaissance algérienne.

Il comprit surtout que l’isolement ne lui permettrait pas de mener à bien ses projets. Il sut donc s’entourer de personnes pieuses, motivées, mais aussi et surtout, compétentes avec lesquelles il collabora pour faire face aux priorités, laissant de côté les querelles. Il ne s’est pas non plus laissé prendre au piège de la polémique, il était dans la construction utile plutôt que dans la confrontation stérile.

Cette collaboration fertile aura pour aboutissement la création de l’Association des Oulamas (savants) musulmans d’Algérie, qu’il présidera. Ce ne fut pas une énième institution avide de gloire et de prestige, mais une réelle organisation structurée et active, avec un solide programme religieux et socio-culturel.

La priorité restait la création d’écoles pour lutter contre l’analphabétisme et diffuser un savoir religieux authentique ancré dans la réalité. Mais cette nouvelle organisation permit également le développement d’une multitude d’activités comme la bienfaisance envers les pauvres et les nécessiteux, la création d’associations théâtrales et sportives, le développement du scoutisme, et l’ouverture de cercles culturels encourageant à la réflexion et la participation dans tous les domaines de la société.

Au niveau scientifique, notons qu’Ibn Badis était très productif, et qu’il laissa entre autres œuvres une exégèse complète de saint Coran, ainsi qu’un commentaire du Mouwwata de l’Imam Malik.

Ibn Badis était un visionnaire sincère qui inspirait ses compagnons par son savoir, sa modestie et son détachement de ce bas-monde. Son engagement et son endurance lui permirent d’accomplir une œuvre gigantesque. Il ne se montrait jamais hostile envers ses adversaires et cherchait plutôt la conciliation. Il gagna, grâce à cette attitude noble, la confiance des élites comme de la masse et consacra sa vie à l’aboutissement de son projet d’une société réformée. Son rythme effréné, ses très courtes nuits de sommeil et ses nombreuses actions de terrain ne lui permirent pas de vivre jusqu’à un âge avancé. Ibn Badis s’éteint en 1940 à l’âge de 51 ans, en ayant accompli ce que peu d’hommes arrivent à accomplir en une vie.


Rubrique: Biographies