J’ai une âme qui, lorsqu’elle eut gagné ce bas monde, eut la nostalgie de l’autre (Omar ibn Abd al Aziz)
Abû Hamid al Ghazali est né en 450H à Tus en Iran. Il y étudia les sciences religieuses fondamentales avant de rejoindre l’imam al Juwayni dont il devînt le disciple jusqu’à la mort de celui-ci en 477H. Doté d’un esprit vif, al Ghazali excella très vite dans de nombreux domaines. Il devint peu à peu une référence notamment dans la jurisprudence de l’école Shâfi’ite et finit par dépasser ses pairs.
Ayant eu écho des qualités de ce jeune imam prometteur, le vizir Nizam al mulk lui proposa un poste de professeur à la madrasa nizamiyya de Baghdad. En plus des cours qu’il dispensait (fiqh, kalâm, usûl) à des centaines d’étudiants, il se mit à étudier les doctrines philosophiques de son époque, alors très répandues, qui trouvaient leur origine dans la philosophie grecque. Al Ghazali n’était pas homme à se contenter des apparences. Lorsqu’il voulait comprendre une science, il aimait à y plonger pleinement afin d’en connaître tous les recoins et les subtilités évitant ainsi le conformisme (taqlid), la réfutation superficielle ou le blâme excessif. Ce souci de rigueur, joint à une intelligence hors du commun, lui permit de maîtriser les tenants et les aboutissants de la philosophie en moins de deux ans. Il écrivit alors un premier livre dans lequel il exposa les objectifs de la philosophie puis en démontra l’incohérence dans son célèbre ouvrage Tahafut al falasifa. Ce livre eu un grand retentissement dans le monde musulman et ce jusqu’en Europe. Ce fut l’un des facteurs du déclin de la philosophie grecque dans le monde musulman. Professeur reconnu, écrivain prolifique, Ghazali était devenu le maître incontesté de Baghdad.
Pourtant en 488H, âgé de 38 ans, il entra dans une crise spirituelle profonde qui allait durer six mois. Il avait surpassé ses adversaires mais distrait par sa fougue, il en avait oublié d’interroger son intention. Or le Prophète dit : Les actes ne valent que par les intentions (Al Boukhâri). Dans al munqid al Ghazali y décrit son état : J’ai scruté mon âme et j’ai constaté que j’étais empêtré dans les attaches (du bas monde)… j’ai constaté que j’entretenais un savoir futile et inutile sur la voie de la vie Future. J’ai réfléchi ensuite à la pureté de mon intention et j’ai constaté qu’elle n’était pas entièrement vouée à Dieu car elle avait pour motif la recherche de la renommée et l’extension de la gloire.Craignant sa perdition, il décida de quitter Baghdad et ses honneurs. S’en suivit dix années de retraite spirituelle à travers le monde musulman où il s’adonna à la purification de l’âme dont le Coran nous dit : ’A certes réussi celui qui la purifie’ (91,9). Abû Hamid avait donc choisi d’abandonner une position éminente pour mener un combat contre lui-même. De cette retraite, allait jaillir un des classiques de la littérature musulmane, l’œuvre magistrale de Ghazali : Ihya ‘Ulûm ad-din (Revivification des sciences religieuses). Ce livre traitant de la foi, du licite, de l’illicite, du culte et de l’éthique réunit l’essentiel de la pensée islamique. Sa particularité est tirée de l’expérience propre de Ghazali. Il y décrivit les états du cœur et de l’âme comme personne avant lui. Certains ont dit que si tous les livres de l’Islam [en dehors du Coran] étaient perdus alors l’Ihya suffirait à les remplacer. D’autres ont reprochés au livre de comporter des hadiths faibles voir forgés. Certes, al Ghazali n’était pas spécialisé dans l’authentification du hadith et comme tout être humain il n’était pas exempt d’erreur mais la grande majorité du livre reste très bénéfique. Pour que le lecteur puisse en profiter tout en étant rassuré, un des grands savants du hadith, l’imam al ‘Iraqi, en a fait un commentaire afin d’annoter tous les hadiths rapportés dans l’Ihya. Pourtant, certains ont rejeté l’œuvre de Ghazali, prétextant la présence de quelques hadiths faibles et à cause de la tendance soufie de certains de ses ouvrages. Ce jugement est injuste et excessif car il nie au nom de quelques erreurs les innombrables services rendus à l’Islam par l’imam. Qui d’autre que Ghazali [par la grâce d’Allah] a défendu la croyance musulmane contre l’intrusion et la confusion produite par la philosophie grecque ? Qui d’autre que Ghazali a porté l’étendard de l’Islam face aux philosophes tandis que certains se contentaient de réfutations superficielles et insuffisantes ?! Allah ne dit-Il pas dans Son Livre : « Et que la haine pour un peuple ne vous incite pas à être injuste. Pratiquez l’équité : cela est plus proche de la piété. (5,8) ». Si le Très Haut nous a exhorté à l’équité, y compris vis-à-vis de ceux que nous pourrions être amenés à détester, quelle doit être alors notre attitude vis-à-vis de celui dont les quelques erreurs se noient dans un océan de bienfaits ?
Al Ghazali finit par retourner à Tus où il s’adonna jusqu’à la fin de sa vie à la prière, l’ascétisme et aux œuvres pieuses. Il fut rappelé à son Seigneur en 503H à l’âge de 53 ans. On rapporte qu’il mourut avec le sahih al Boukhâri sur sa poitrine. Qu’Allah lui fasse miséricorde et lui accorde les plus hauts degrés !
Et pour celui qui aura redouté de comparaître devant son Seigneur, et préservé son âme de la passion le Paradis sera alors son refuge (79,40-41).