19:49 - Samedi 21 décembre, 2024

- 19. Jumādā al-Ākhira 1446

L’amour du « bas-monde » (2ème partie)


Allah le Très Haut dit : Ils se réjouissent de la vie sur terre, mais la vie d’ici-bas ne paraîtra que comme une jouissance éphémère en comparaison de l’au-delà [13;26]. Nous avons vu le mois dernier comment le Prophète (paix et salut sur lui) et ses compagnons ont pratiqué à la perfection le renoncement à la vie d’ici-bas, tout comme le reste des prescriptions Divines, commençant par appliquer ce qui est obligatoire : à savoir se détourner de ce que Dieu a interdit, et au sujet duquel le Prophète (paix et salut sur lui) a dit : ce bas-monde est maudit et tout ce qu’il contient… [Al Tirmidhi, hassan] ; puis en renonçant à des biens licites, mais non nécessaires, ou non essentiels, lorsque ceux-ci pouvaient les détourner de bonnes actions ou les ralentir dans l’accomplissement de celles-ci. Cette seconde forme d’ascétisme, ou de renoncement aux choses licites et non maudites du bas-monde constitue une œuvre surérogatoire que chaque compagnon a accompli en fonction de la force de sa foi.

La règle en matière d’œuvres est, rappelons-le, dans le détachement du bas-monde, tout comme dans la prière, l’aumône ou le jeûne, de commencer à s’appliquer dans ce qui est obligatoire jusqu’à le pratiquer avec aisance et facilité, avant d’avancer, pas à pas, dans le champ des œuvres surérogatoires. Dieu dit dans un hadith Qoudsi : Mon serviteur ne M’a jamais adoré aussi bien qu’en mettant en pratique Mes commandements, puis il ne cesse de se rapprocher de Moi par des œuvres surérogatoires jusqu’à ce que Je l’aime… [Al Boukhari].

Il est aussi important de remarquer, que plus que les seuls textes, l’exemple vivant du Prophète (paix et salut sur lui) et les nombreuses épreuves qu’il eut à traverser, avec ses compagnons, ont obligé ceux-ci à un renoncement presque total du bas-monde : parmi eux certains avaient dû quitter leurs proches parents, d’autres ont abandonné leur pays et leurs maisons, d’autres ont dû faire don de leur fortune, ils ont été boycottés et combattus. On peut donc dire que les épreuves de la vie les ont poussé progressivement et naturellement à un ascétisme sain et sincère, dénué de toute exagération et de toute ostentation. Ceci est un avertissement important pour qui voudrait se lancer tout seul ou trop vite dans une œuvre qu’il ne sera finalement pas capable de supporter.

Renoncer au bas-monde ne signifie pas non plus de renoncer à travailler ou à fournir des efforts au service d’Allah et de la société. Les gens de souffa, qui étaient pauvres, sans capitaux ni savoir faire, et qui étaient hébergés et pris en charge par la mosquée, n’ont pas été des meilleurs ascètes que les dix élus du Paradis, parmi lesquels, Abou Bakr, Omar, Othman, Ali, Talha, Zoubayr ou Abd Al Rahman Ibn Awf, qui étaient tous d’habiles commerçants, qui ont pu à plusieurs reprises utiliser leurs positions sociales et leurs richesses pour servir l’Islam, venir en aide aux démunis etc. Bien au contraire, la personne qui renonce à tout ou partie de ce qu’elle a entre les mains, vaut mieux que celle qui n’a rien, et qui patiente dans la difficulté. Le meilleur ascète est donc celui qui jouit d’un statut, de compétences et qui vient d’un milieu aisé, et se refuse le confort auquel il pourrait prétendre par amour pour Dieu et pour Son service. Nous pourrions parler du cas d’Abou Bakr et des faibles qu’il a libérés, du financement de jaysh al ‘ousra, ou du rachat du puits de rouma par Othman, de la prise en charge de la famille du Prophète (paix et salut sur lui) par Ibn Awf etc… les exemples sont nombreux et le mérite de ces nobles personnes bien connu.

Le renoncement au bas-monde ce n’est pas non-plus de renoncer aux bonnes choses que Dieu a rendu licites, mais c’est d’en user avec parcimonie, sans exagérer. Il est recommandé lorsqu’on en a les moyens de porter de beaux vêtements, de soigner ses cheveux, de se parfumer, de manger de bonnes nourritures, de boire de bonnes boissons, de choisir un conjoint qui nous plait, d’avoir un bon véhicule ou de rechercher un logement calme et spacieux. Dieu dit : Ô croyants ! Profitez (lit. ‘Mangez’) des bonnes choses licites que Nous vous avons attribuées. Et remerciez Dieu, si c’est Lui que vous adorez [2;172], Ô humains, portez vos beaux vêtements dans toute mosquée et mangez et buvez ; mais ne commettez pas d’excès, car Il [Dieu] n’aime pas ceux qui commettent des excès [7;31]. À un compagnon qui aimait avoir de belles sandales et qui s’inquiétait de savoir si cela était une forme d’orgueil, le Prophète (paix et salut sur lui) répondit par la négative en précisant qu’au contraire : Dieu est beau et Il aime la beauté [Mouslim]. Le Prophète (paix et salut sur lui) nous apprend par ailleurs que quatre choses font partie du bonheur : une femme vertueuse, une habitation spacieuse, un bon voisin et une monture confortable [Al Hakim, Al-Bayhaqi] ; de plus ses compagnons nous ont appris, qu’il enduisait ses cheveux, se parfumait, et mettait de beaux vêtements. Ceci étant, l’exagération contre laquelle l’Islam nous met en garde consiste à ce que notre vie toute entière ne tourne qu’autour du fait d’acquérir toujours plus et à tout prix ; au point où l’on rechercherait le luxe et le superflu, au point où l’on ne se satisferait jamais de ce qu’Allah nous donne, au point où l’on oublierait de pratiquer la reconnaissance obligatoire vis-à-vis d’Allah, pour les bienfaits dont Il nous comble : Ô croyants ! Profitez (lit. ’Mangez’) des bonnes choses licites que Nous vous avons attribuées. Et remerciez Dieu, si c’est Lui que vous adorez ; et faites vos provisions, mais la meilleure provision c’est la piété [2;197].

Le renoncement au bas-monde enfin ne revient pas à accabler sa personne et encore moins ses proches, par ce que l’Islam ne nous a jamais demandé ou par ce que nous ne sommes pas capables d’endurer. À ce sujet, nous pouvons citer l’histoire d’Abou Darda, rapportée dans le Sahih d’Al Boukhari, et selon laquelle ce compagnon avait décidé de jeûner quotidiennement et de passer ses nuits en prière, à tel point qu’il ne regardait même plus sa femme ! Salman qui était plus sage et plus avancé dans la religion qu’Abou Darda rappela à ce dernier l’importance de la modération y compris dans les bonnes œuvres, et le fait que le renoncement du bas-monde comme le reste des œuvres, est régi par des règles et des priorités, et qui en aucun cas ne justifie de négliger aux obligations que nous avons vis-à-vis de nos ayants-droits.

 

Et Allah sait mieux !


Rubrique: L'amour dans l'Islam