Voyez-vous ce que je vois ? Je vois les épreuves, telle la pluie, tomber à travers vos demeures (Al-Boukhâri). Les exégètes, tel Al-Nawawi, interprètent cette parole du Prophète (paix et salut sur lui), comme une prédiction des batailles fratricides et des troubles survenus après sa mort, qui telle la pluie, frappèrent toute la communauté, sans exception. Ainsi, nous aborderons ici l’une des épreuves les plus douloureuses auxquelles les musulmans aient eues à faire à face au cours de leur histoire. Une épreuve douloureuse donc, mais pas moins riche d’enseignements.
Les prémisses d’une crise : c’est à la fin du Califat de Othmân, qui dura douze ans, que se manifestèrent les premiers troubles dont l’issue tragique, l’assassinat du calife, affectera l’unité des musulmans. Selon lbn khaldoun, la crise apparut tandis que l’expansion territoriale [foutouhat] touchait à sa fin et que les Arabes s’installaient dans les régions ouvertes à l’Islam. Parmi eux, se trouvaient les compagnons du Prophète, qui constituaient le noyau dur de la communauté des croyants. Lorsque ces derniers moururent et que leur nombre devint de plus en plus réduit, de nombreux musulmans, n’ayant pas vécu avec le Prophète, oublièrent le respect et le mérite dus aux premiers croyants. Ils se mirent à contester leur autorité et à critiquer de manière exagérée leurs gouverneurs. Ces critiques se transformèrent peu à peu en calomnies, jusqu’à se répandre et viser directement la personne du calife. Othmân dépêcha des émissaires à travers les provinces musulmanes afin de s’enquérir de la situation, et pour savoir si la colère du peuple était fondée. Aucune injustice réelle ne fut trouvée (tarikh). Néanmoins, il est évident que seul le Prophète était infaillible et aucune politique ne peut faire l’unanimité. Ainsi, certains compagnons avaient effectivement exprimés de forts désaccords concernant quelques aspects de la politique de Othmân. Mais éduqués par la prophétie, leurs critiques, aussi sévères soient-elles, étaient empreintes d’éthique et n’avaient pour seul but que de conseiller le calife et relevaient de leur droit à la libre expression. Le danger venait en réalité de ceux qui exploitaient ces désaccords afin d’attiser la révolte et la destitution du calife.
Des facteurs aggravants : Deux éléments de la politique du calife aggravèrent la crise. Tout d’abord, sa politique financière. Connu pour sa générosité qui s’était exprimée à maintes reprises du temps du Prophète, Othmân débuta son califat par une augmentation des dons publiques. Il mena également une politique économique plus libérale que son prédécesseur, Omar, l’Etat exerçant un contrôle moins prononcé, notamment sur l’origine des richesses. D’aucuns purent ainsi s’enrichir et multiplier leurs capitaux, y compris les gouverneurs. Mais habitués au scrupule (al wara) et à l’ascétisme du califat de Omar, certains y virent un mal, tandis que Othmân ne cherchait qu’à améliorer la vie des gens avec ce que Dieu avait permis ; et faire de la prospérité économique un élément de stabilité. Ceci étant, cela engendra de la frustration au sein d’une partie de la population ; frustration par ailleurs toute relative puisque le Trésor Public dispensait des dons vis-à-vis des plus pauvres.
Deuxième élément : la nomination des gouverneurs. Selon Tabarî, dès la deuxième année de son califat (25H), Othmân se mit à destituer et remplacer quelques uns des anciens agents établis par Omar (târikh). C’était là son droit le plus légitime. Mais on lui reprocha d’avoir placer trop de gouverneur de sa tribu, les Bani Oumayya, qui était en fait la plus grande tribu arabe. Ils n’en firent pas moins preuve de savoir faire dans la gestion des affaires, et cela n’empêcha pas Othmân de demander des comptes à ses gouverneurs qu’il convoquait d’ailleurs tous les ans à l’occasion du pèlerinage. Il destitua par exemple le gouverneur Sa’îd Ibn Al ‘Ass à la demande de la population de Koufa. Néanmoins, le fait qu’il se soit entouré des gens de sa tribu donna l’impression qu’il n’était pas entouré des compagnons. Cela favorisa, malheureusement, et malgré lui, le retour de l’esprit tribal.
L’assassinat d’Othman : En 35H, une révolte éclata. Les révoltés venaient de Koufa, de Bassora et d’Egypte et se dirigèrent vers Médine. Ils cherchèrent à rallier Alî et Talha à la sédition mais tous deux refusèrent. La situation se dégrada jusqu’à ce que la maison du calife soit assiégée. Les insurgés finirent par y pénétrer et assassinèrent le calife qui lisait alors le Coran tandis qu’il jeûnait. Othmân aurait pu combattre ses opposants mais il voulut éviter un bain de sang et chercha jusqu’au bout à repousser la guerre civile. Il ne voulut pas non plus démissionner de la fonction de calife à laquelle il avait été librement élu. Cela aurait introduit un précédent, favorisant l’instabilité politique dans un Etat encore tout jeune. Ahmad rapporte avec une chaîne authentique que le Prophète lui avait dit : Allah te vêtira d’un vêtement (le califat), que des gens de ma communauté essaieront de t’arracher. N’y renonce pas, jusqu’à ce que tu me retrouves. Sa mort laissa perplexe les Compagnons qui n’avaient pas imaginé que la crise puisse aboutir à un terme aussi tragique. Cependant, il est important de ne pas réduire le califat d’Othmân uniquement à ces troubles. La plus grande partie de son califat se déroula dans la prospérité et il fut tué en pure injustice !
Que Dieu soit satisfait de lui ! Et Dieu seul sait !