Nous avons vu dans notre précédent article comment le Coran fut assemblé après la mort du Prophète (paix et salut sur lui) sous le califat d’Abou Bakr. Celui-ci, sur conseil de ’Omar Ibn Al Khattab, chargea Zayd Ibn Thabit , érudit et copiste du Coran au temps de la Révélation, de collecter puis d’assembler le Texte coranique afin de le fixer et par là même d’en assurer une transmission fidèle aux générations à venir. Zayd a décrit ses recherches préalables à la compilation du Livre au travers du hadith rapporté dans le Sahih d’Al Boukhari : je commençais donc à chercher les fragments du Coran et à en rassembler les diverses parties d’après les feuillets, les omoplates, les branches de palmiers (utilisés comme supports pour inscrire la Révélation) et aussi d’après la mémoire des hommes. C’est ainsi que dans la sourate Le Repentir, je trouvais chez Khouzayma Al Ansari la trace écrite de ces deux versets que je n’avais trouvée chez aucun autre que lui (même si d’autres avaient par ailleurs mémorisé ces versets) : Certes, un Messager pris parmi vous, est venu à vous, auquel pèsent lourd les difficultés que vous subissez, qui est plein de sollicitude pour vous, qui est compatissant et miséricordieux envers les croyants. Alors, s’ils se détournent, dis : Allah me suffit. Il n’y a de divinité que Lui. En Lui je place ma confiance ; et Il est le Seigneur du Trône immense [9;128-129] Les feuillets du Coran ainsi obtenus furent alors conservés chez Abou Bakr jusqu’à sa mort puis chez Omar, deuxième calife de l’Islam, et enfin chez Hafsa, fille d’Omar.
Les sept dialectes.
Après la mort de ’Omar Ibn Al Khattab, Othman Ibn ‘Affan fut chargé du califat. Au cours de celui-ci, des dissensions, imputables principalement aux nouveaux musulmans, se mirent à apparaître concernant la récitation du Coran. En effet, à cette époque, l’empire musulman en pleine expansion s’étendait bien au-delà de l’Arabie. Loin de la Mecque et de Médine, dans les territoires nouvellement conquis, les divergences concernant la récitation du Coran se multipliaient, au point où Houdayfa Ibn Al Yemen, compagnon du Prophète (paix et salut sur lui), vint à la rencontre du calife afin de l’avertir de ce qu’il avait entendu dans les nouvelles terres de l’Islam et lui recommander d’intervenir afin de préserver le dernier Livre des altérations et des divergences qu’avaient connues les anciennes révélations.
À quoi étaient dues ces différences ? La réponse se trouve dans le hadith du Prophète (paix et salut sur lui) : ce Coran m’a été révélé selon sept lettres [Al Boukhari & Mouslim]. En effet, à l’époque de la Révélation, afin de faciliter la compréhension et la mémorisation du Coran par le plus grand nombre, dont la majorité rappelons-le était illettrée, Dieu révéla au Prophète (paix et salut sur lui) Son Livre selon sept dialectes de la langue arabe (sab’a ahrouf). Les sept parlers concernés sont ceux des tribus Qouraych, Houdhayl, Thaqif, Hawazin, Kinana, Tamim et Yémen. Peut-être cela avait-il aussi pour but d’unifier les tribus autour de la Révélation de manière à ce qu’aucune d’entre elles ne se sente lésée ou à l’inverse s’enorgueillisse, d’entendre ou de ne pas entendre dans la Révélation des mots ou des expressions propres à son dialecte. Cela semble plausible si l’on considère la valeur que les Arabes donnaient à leur langue qui constituait, notamment via la poésie, un véritable outil de prestige et de distinction entre les tribus. Aussi, le Prophète (paix et salut sur lui) disait : (le Coran) a été révélé selon sept variantes. Employez celle qui vous est la plus commode [Al Boukhari]. Ainsi, d’une variante à l’autre, certains mots ou expressions pouvaient varier compte tenu des particularités de chaque dialecte mais avaient la même signification, ce qui ne changeait donc pas le sens général des versets. Un exemple peut être donné à travers le verset 5 la sourate 101 qui se lit ka-l-‘ihni-l-manfouch mais qui se lisait dans une autre version ka-soufi-l-manfouch, tous deux signifiant comme de la laine cardée. Ces différences de lecture ne concernaient qu’une partie mineure du Texte et ne posaient pas de problème du temps de la Révélation, mais cela se mit à changer dès lors que l’Islam s’étendit au-delà de l’Arabie. En effet, les nouveaux musulmans, parfois non arabes, ne comprenaient pas ces nuances, certains pensant que leur lecture était la seule authentique à l’exclusion des autres variantes.
La copie d’Othman.
Pour éviter que la communauté ne se divise autour de son Livre, le calife Othman ordonna de réaliser des exemplaires du Coran à partir de la copie d’Abou Bakr. Pour cela, il mandata de nouveau Zayd Ibn Thabit mais aussi trois autres compagnons, leur demandant de rédiger un exemplaire de référence d’après le dialecte de Qouraych. Le dialecte de Qouraych était le parler le plus soutenu et le mieux compris de l’ensemble des Arabes ; mais il était surtout le parler dans lequel le Coran fut révélé originellement. La copie obtenue fut envoyée aux quatre coins du monde musulman. Tout autre exemplaire ou feuillet faisant référence à un autre dialecte fut délaissé. C’est donc cette dernière version du Coran qui fut transmise génération après génération, jusqu’à nous parvenir.
Et Allah sait mieux.