« (13) Ô hommes ! Nous vous créâmes d’un homme et d’une femme et fîmes de vous des peuples et des tribus afin que vous vous entre-connaissiez ; le meilleur d’entre vous auprès d’Allah est le plus pieux ; Allah est parfaitement informé et savant ».
Dans les deux précédents numéros nous avons abordé les premières exhortations de la sourate al houjourat (49), celles qui s’adressaient en particulier aux croyants. Nous avions finalement abordé l’institution par Allah du principe de fraternité entre les croyants et renvoyons nos lecteurs à nos précédents articles sur l’amour en Dieu chez les compagnons et l’amour en Dieu dans l’éducation prophétique afin de découvrir comment ce principe a été mis en pratique dans la société du Prophète (paix et salut sur lui). Nous avions également déjà présenté une explication des deux versets condamnant les attitudes qui nuisent à la fraternité.
Aujourd’hui nous poursuivons notre étude de cette sourate qui instaure des règles fondamentales en termes de relations sociales avec le verset 13 cité plus haut. On observe ici un changement d’interlocuteur puisqu’à travers lui, Allah ne s’adresse plus aux seuls croyants, mais à l’ensemble du genre humain. Allah rappelle ici que l’humanité toute entière provient d’une même souche, d’un homme et d’une femme, Adam & Eve, conçus et façonnés par Allah Lui-même. Cela signifie que tous les hommes ont la même origine et sont donc égaux. Les différences physionomiques ou linguistiques dans l’espèce humaine ont été voulues par Allah et sont un Signe de Sa Puissance et de Sa grandeur : « Et parmi Ses signes sont la création des cieux et de la terre et la variété de vos idiomes et de vos couleurs. Il y a en cela des preuves pour les savants » (22;30).
Cela est en effet un indice de l’existence d’un Créateur-Concepteur qui a permis, via le brassage génétique, que sur plusieurs milliards d’hommes qui peuplent cette terre, chacun soit unique (à l’exception des vrais-jumeaux) avec un code génétique, des empreintes digitales, un timbre de voix et une apparence unique ; tandis que dans le monde végétal de nombreuses espèces se reproduisent à l’identique !
Cette origine commune implique que tous les hommes et toutes les femmes, par delà leurs différences, disposent des mêmes possibilités et capacités. Cela réfute les théories « racistes » ou suprématistes faisant des hommes différentes « races » dont certaines seraient supérieures à d’autres et qui autoriseraient de ce fait les premières à asservir les secondes.
Ce principe d’égalité est fixé immédiatement après le principe de fraternité dans le Coran, et à la suite de la dénonciation des traits de caractère qui empêchent les relations fraternelles. Car ce sentiment, que l’on appelle asabiya, d’appartenance à une race, une caste, ou une nation que l’on imagine supérieure ou plus noble empêche l’établissement de liens fraternels avec autrui. Le Prophète (paix et salut sur lui) s’est battu contre ce sentiment afin de l’éradiquer de sa communauté.
La suite du verset nous apprend ce qu’Allah attend de nous face à la différence culturelle, ethnique, sociale qui ne distinguent finalement les gens que dans l’apparence : nous devons apprendre à nous connaître les uns les autres. C’est le principe d’entre-connaissance ou de connaissance mutuelle qui est prescrit ici et qui impose l’ouverture d’esprit et de cœur quand l’ignorance de l’autre encouragera au repli, à la peur, au rejet ou à la haine.
Enfin, le verset nous apprend quel est le seul véritable critère qui permettra de distinguer les gens devant le Créateur et d’évaluer la qualité de chacun : il s’agit de la piété. Or il s’agit là, pour nous humains, qui n’avons pas la faculté de lire dans les cœurs, d’un critère subjectif. C’est un critère invisible aux yeux comme l’a confirmé notre Prophète (paix et salut sur lui) lorsqu’il posait la main sur le cœur en répétant trois fois de suite : « la piété réside ici » [Mouslim]. Nous ne pouvons qu’estimer approximativement la piété des individus au travers des signes apparents que l’on voit, à travers l’éthique et la pratique des gens. On ne peut évaluer avec certitude la piété d’autrui. Cela nous oblige donc à être humbles avec tous ceux qui en porte le moindre signe : « Mohammad est l’Envoyé d’Allah, ceux qui sont auprès de lui sont humbles les uns envers les autres… » (48;29), « Allah suscitera un groupe de gens qu’Il aimera et qui L’aimeront, humbles avec les croyants… » [5;54].
Si la majorité des gens jugent autrui sur des critères essentiellement apparents d’ethnie, d’origine, de rang social, de diplômes, de force physique ou de quotient intellectuel, l’Islam nous a appris à considérer l’autre avant tout sur des critères spirituels, éthiques et moraux. Le plus pieux étant le plus éloigné de ce qu’Allah a interdit comme le meurtre, le mensonge, le vol, la triche, la grossièreté, l’avarice, le libertinage, le dévergondage etc. et le plus prompt à pratiquer les commandements révélés comme le fait de n’adorer qu’Allah, de bien se comporter et d’avoir de bonnes paroles envers les gens, d’être sincères, honnêtes, droits, justes, équitables, vertueux. La piété se manifeste aussi, bien sur, dans l’assiduité à la pratique, de la prière, du jeûne, de l’aumône ou du pèlerinage ; qui ont été prescrits après la plupart des commandements éthiques et moraux. Il faut également prendre garde à confondre la piété avec une forme de « technicité » de la foi comme nous le rappelle : « La piété ne consiste pas à tourner sa face du côté de l’Orient ou de l’Occident ; la piété, c’est croire en Dieu, au Jugement dernier, aux anges, aux Livres et aux prophètes ; la piété, c’est donner de son bien – quelque attachement qu’on lui porte – aux proches, aux orphelins, aux indigents, aux voyageurs et aux mendiants ; la piété, c’est aussi racheter les captifs, accomplir la salât, s’acquitter de la zakât, demeurer fidèle à ses engagements, se montrer patient dans l’adversité, dans le malheur et face au péril. Telles sont les vertus qui caractérisent les croyants pieux et sincères ! » [2;177].
Nous devons donc chercher à développer en nous cette qualité qu’est la piété et apprendre à considérer les gens selon ce critère.
L’opposition au mariage sur un critère d’origine
L’Imam Al Qourtoubi rapporte en citant les Marasild’Abou Dawoud que le Prophète (paix et salut sur lui) demanda à la tribu des Bani Bayada de proposer une de leur femme en mariage à Abou Hind ; ceux-là objectèrent que celui-ci était de faible condition sociale : « marierons-nous l’un de nos subalternes à l’une de nos femmes ? », Allah révéla alors ce verset rappelant que le critère distinctif majeur à prendre en compte était la piété.
Nous tenons à remarquer ici la grave erreur de jugement que font beaucoup de parents en fixant à leurs enfants des critères de choix de conjoints qui contreviennent à ces principes en refusant que leurs enfants se marient avec une personne d’origine différente. Le seul critère qui devrait être déterminant est la piété, puis la compatibilité des individus et des caractères que nos fouqaha ont appelé la correspondance (kafa’a).
L’opposition au mariage de deux musulmans sur des critères de nationalisme relève de l’asabiya combattue par le Prophète (paix et salut sur lui) et provoque de grands dégâts. Le Prophète (paix et salut sur lui) dit : « lorsqu’un homme vous paraissant bien éduqué et pratiquant vient demander la main de votre fille, ne vous y opposez pas, car vous provoqueriez une grande épreuve et des dégâts important » [Al Tirmidhi, Ibn Majah : Sahih].
Des paroles du Prophète (paix et salut sur lui) appuyant ce verset
Al Qourtoubi rapporte d’une chaîne de transmetteurs qui remonte à Ibn Abbas que lors de la prise de Mekka, Bilal grimpa sur la Kaaba pour y proclamer la grandeur d’Allah. Certains notables mecquois dirent entre eux : « Dieu merci, que nos pères n’aient pas eu à voir cela. Mohammad n’a-t-il pas trouvé autre que ce corbeau pour appeler à la prière ?! ». Le Prophète (paix et salut sur lui) dit dans son discours le même jour : « Ô hommes ! Allah a aboli vos castes et vos références aux aïeux. Les gens sont de deux catégories : un individu pieux et noble auprès d’Allah, et un individu pervers, malheureux et de peu de valeur devant Allah. Tous les hommes descendent d’Adam, et Adam fut créé de terre » [Al Tirmidhi].
Dans un autre de ses prêches, l’Envoyé d’Allah (paix et salut sur lui) dit : « ô hommes ! Votre Seigneur est unique et vous descendez tous d’Adam. L’Arabe n’a aucune supériorité sur le non-arabe, et le non-arabe sur l’Arabe, tout comme l’homme au teint rouge n’est pas supérieur à l’homme noir, et vis-et-versa, si c’est par la piété. Ai-je bien été clair ?! - et la foule de répondre en cœur : « oui ! » – « Que les présents transmettent donc cela aux absents » [Al Tabari, dans Adab Al Noufous].
Le Prophète (paix et salut sur lui) disait également : « Allah n’a que faire de vos origines, de vos apparences ou de vos richesses, Allah n’observe que vos cœurs. Celui donc, dont le cœur est pieux, Allah se montrera tendre envers Lui. Vous êtes tous descendants d’Adam et c’est le plus pieux d’entre vous qu’Allah aime le plus ».
Ahmad rapporte enfin que notre mère Aïcha disait : « Rien des choses du bas-monde n’impressionnait le Prophète (paix et salut sur lui), nul ne l’émerveillait, si ce n’est la personne pieuse ».