19:40 - Mardi 3 décembre, 2024

- 1. Jumādā al-Ākhira 1446

Djamel Dîn Al Afghâni (1838 – 1897)


Cramponnez-vous tous ensemble au “Habl” (câble) d’Allah et ne soyez pas divisés (3,103)

Au 19e S, à l’aube du démantèlement de l’empire Ottoman, l’idée d’un renouveau musulman semble de plus en plus

nécessaire. En effet, il devient évident que l’empire n’a plus les moyens de ses prétentions et les réformes entamées consistent surtout à importer un modèle venu de l’extérieur, plutôt qu’à apporter de véritables solutions à la crise. De plus, l’empire suscite les convoitises des grandes puissances européennes en pleine expansion qui peu à peu imposent leur domination aussi bien territoriale que culturelle. C’est dans ce contexte, que va naître la pensée d’Al Afghâni, précurseur de bon nombre de savants de l’époque contemporaine.

Né en 1838 en Afghanistan, sa vie fut marquée par d’incessants voyages (Inde, Irak, Égypte, Turquie, Europe…) doublés d’une activité intellectuelle riche et engagée (conférences, journaux, enseignement…). Durant toute sa vie, il suivit une seule et même aspiration : réaliser l’union du monde musulman et lutter contre sa division. Ainsi son action va-t-elle s’articuler autour de deux axes : d’une part, la réforme interne et d’autre part la résistance à l’ingérence étrangère notamment en Inde et en Égypte. Dès le début, Al Afghâni eut l’intuition que les maux du monde musulman résidaient dans son incapacité à l’autocritique et dans sa trahison de l’esprit du Coran.

Tout en revendiquant une fidélité aux Textes et à l’héritage des prédécesseurs, il appelait ainsi à une nécessaire renaissance (nahda) de la pensée afin de retrouver le dynamisme et l’ingéniosité d’antan. Al Afghâni entendait lutter contre l’imitation aveugle (taqlid) qui, en sanctifiant la parole des prédécesseurs, interdit toute réflexion et relève plus de la paresse intellectuelle que d’une réelle fidélité à la Révélation. Il rappelait donc que si les sommités parmi les imams ont appliqués l’ijtihad et y ont excellé, il ne convient pas de considérer qu’ils ont épuisés tous les secrets du Coran. Leur ijtihad par rapport au Coran étant, selon lui, semblable à une goutte dans la mer (Aux sources du renouveau musulman p76). Les musulmans devaient donc revenir à ce qui avait fait le succès des premières générations : une foi pure et une articulation parfaite et juste entre les Textes (naql) et la raison (‘aql).

Entre 1885 et 1897, il se tourna totalement vers la politique et  s’efforça par l’action diplomatique, entre l’Iran, l’Égypte et la Turquie, de tisser des liens entre les états afin qu’ils s’unissent contre la présence étrangère, principalement anglaise. Il disait ainsi : « Je n’entends pas dans mon propos qu’il s’agisse d’un roi entre les mains duquel serait centralisé l’ensemble des affaires… [mais] plutôt que ce soit des gouvernements que le Coran réunisse, que le visage de leur union soit la religion » (ibid p.86).

Ce mouvement de libération n’était pas pensé uniquement pour les musulmans. Fidèle au principe de justice de l’Islam, Al Afghâni précise que personne ne suppose que notre présent journal, en ce qu’il mentionne spécifiquement les musulmans dans la défense de leurs droits, milite pour la séparation des musulmans d’avec leur voisin dans leur patrie…tel n’est pas notre propos…ni ce que permet notre religion et notre shari’a (p87).

Cependant, cette action militante doit être comprise comme un moyen et non comme un but. Il s’agit ici, pour lui, d’un passage obligé pour libérer les peuples de la domination et non d’une opposition farouche ou systématique aux puissances étrangères. Les pays musulmans devaient se développer en partenariat avec leurs voisins d’Europe et tirer profit du progrès scientifique sans pour autant accepter l’ingérence dans leur vie politique, le dénie de leur droit à l’auto-détermination ou la perte de leurs principes. Al Afghâni fait bien cette distinction lorsqu’il relève : N’est-il pas étrange que nos savants aient divisés la science en deux : l’une européenne, l’autre musulmane ? Ils interdisent ainsi à leurs fidèles de mettre à profit certaines disciplines scientifiques fortes utiles. Ils n’ont pas saisis que la science est cette activité noble qui ne se particularise chez aucun peuple (ibid. p.68).

Ainsi Al Afghâni a-t-il pensé à une double libération : libérer les intelligences de la sclérose et libérer les musulmans du joug de l’oppression. Vers la fin de sa vie, il fut cependant marginalisé sur le plan politique et  rien ne semblait pouvoir arrêter le démantèlement de l’empire Ottoman. Il n’en demeure pas moins que sa pensée visionnaire eut une portée considérable dans le monde musulman et qu’elle influença de nombreux penseurs du XXe siècle. Il fut rappelé à son Seigneur en 1897. Qu’Allah lui fasse miséricorde !


Rubrique: Biographies