Allah le Très Haut dit : Tu n’en trouveras pas, parmi les gens qui croient [véritablement] en Dieu et au Jour dernier, qui se lient d’affection à qui s’opposent frontalement à Dieu et à Son Messager, quand bien même il s’agirait de leurs parents, de leurs enfants, de leurs frères ou de leurs proches. [En effet] Il a inscrit la foi dans leurs cœurs et les a raffermis dans la guidée. Il les fera entrer dans des Jardins au milieu desquels courent des rivières, en guise de demeure éternelle. Dieu est satisfait d’eux ; et eux aussi sont satisfaits de Lui. Ceux-là sont les partisans de Dieu et le parti de Dieu est destiné à une réussite certaine [58;22].
Nous avons déjà vu, l’importance que l’Islam donne aux sentiments, et nous nous sommes arrêtés au cours des derniers mois sur la place de l’amour et sa dimension spirituelle. Nous avons abordé l’obligation [morale] d’aimer Dieu, le Bon, et le Pourvoyeur de tout bien ; d’aimer ce qu’Il aime, comme qualités et comme personnes ; nous avons vu également comment le Prophète (paix et salut sur lui) a institué l’amour dans la foi comme ciment des relations sociales entre les ‘frères’ et avons donné quelques exemples concrets de ces principes théoriques dans la vie des compagnons.
Aussi, allons-nous aborder, dans ce numéro et dans les prochains, les limites que la foi peut imposer parfois à ce sentiment naturel qui émane du cœur.
En effet, le verset cité en introduction met en évidence qu’il existe des limites aux liens affectifs et aux relations que nous pouvons avoir avec autrui, dès lors qu’il rejette avec mépris le message, dans lequel nous avons cru ; et que cela se traduit par une hostilité, voir de l’injustice à notre égard ou à l’égard des croyants. Ce principe moral fixé par l’Islam est parfaitement naturel et logique : comment ne pas mettre une limite à l’affection que l’on porte à un proche lorsque celui-ci nourrit de mauvais sentiments à l’endroit du Dieu qui nous comble de Ses bienfaits et qui de plus est injuste avec les croyants ?
En fait, si l’amour, comme la colère, la tristesse ou tout autre sentiment ne se décide pas, ce que Dieu attend de nous, c’est que notre foi soit plus forte et que nous soyons capables d’aller au-delà de ces états d’âme pour rechercher la satisfaction Divine, en ne manifestant que ce que Dieu agrée. Le croyant ne pourrait être blâmé pour un sentiment habitant son cœur, et le serait dès lors qu’il le manifeste en contestant la volonté Divine.
Le Coran fixe un cadre à l’expression des sentiments et nous donne des exemples touchants au travers des histoires de grands prophètes.
Parmi elles, l’histoire de Noé qui, lorsque survinrent les pluies torrentielles, appela son fils [incroyant], qui restait en un lieu écarté (non loin de l’arche) : Ô mon enfant, monte avec nous et ne reste pas avec les impies. Celui-ci répondit : Je vais me réfugier vers un mont qui me protégera de l’eau. Et Noé de reprendre : Il n’y a aujourd’hui aucun protecteur contre l’ordre de Dieu. [Tous périront] sauf celui à qui Il fait miséricorde. Et les vagues s’interposèrent entre les deux, et le fils fut alors du nombre des noyés. […] Et Noé invoqua son Seigneur : Ô mon Seigneur, certes mon fils est de ma famille et Ta promesse est vérité. Tu es le plus juste des juges. Dieu lui répondit : Ô Noé, il n’est désormais plus de ta famille car il a commis un acte infâme. Ne me demande plus ce qui est au-delà de tes connaissances. Je t’exhorte afin que tu ne sois pas du nombre des ignorants. Alors Noé dit : Seigneur, je cherche Ta protection contre toute demande de ce dont je n’ai aucune connaissance. Et si Tu ne me pardonnes pas et ne me fais pas miséricorde, je serai au nombre des perdants [11;42-47]. Ce passage coranique montre à quel point Noé continuait d’aimer son enfant bien que celui-ci n’avait pas cru dans le message qu’il avait reçu. Dieu n’a pas reproché à Noé l’amour, parfaitement normal, que celui-ci avait pour son fils ; mais Il l’a orienté et l’a exhorté, afin que Noé ne se laisse pas déborder par ses sentiments, au point de contester le Jugement Divin – ce qu’il n’a bien entendu pas fait !
Le prophète Ibrahim dut prendre ses distances avec son père, lorsque ce dernier manifesta son mépris pour le message Divin et devint menaçant : mentionne dans le Livre, Abraham, il était un homme sincère et un Prophète. Lorsqu’il dit à son père : Ô mon père, pourquoi donc adores-tu ce qui n’entend ni ne voit, et ne te profite en rien ? Ô mon père, un savoir que tu n’as pas reçu m’est parvenu ; suis-moi, donc, que je te guide à un chemin droit. Ô mon père, refuse de servir le diable, car le diable désobéit au Miséricordieux. Ô mon père, je crains qu’un châtiment venant du Miséricordieux ne te touche et que tu ne deviennes un allié du diable. Son père répondit : Ô Abraham, mépriserais-tu mes divinités ? Cesse donc, si tu ne veux pas que je sévisse contre toi ! Va t’en donc, que je ne te revois plus. – Paix sur toi, dit alors Abraham. J’implorerai mon Seigneur de te pardonner car Il m’a toujours comblé de Ses bienfaits. Je me sépare de vous, ainsi que de ce que vous invoquez, en dehors de Dieu, et j’invoquerai mon Seigneur [pour vous]. J’espère ne pas être malheureux dans mon appel à mon Seigneur [19;41-48]. Dans ce dialogue vieux de plusieurs millénaires et immortalisé par le Coran, nous pouvons voir tout l’amour que le prophète Ibrahim avait pour son père. Plus tard, lorsque le père d’Ibrahim mourut polythéiste, le prophète se résigna et fit son deuil : Abraham ne demanda pardon en faveur de son père qu’à cause d’une promesse qu’il lui avait faite. Mais, dès qu’il lui apparut clairement qu’il était hostile à Dieu, il le désavoua. Abraham était certes plein de sollicitude et indulgent [9;114].
Le Coran nous conte également l’histoire de la femme de Pharaon, croyante en Moïse, désavouant son mari incroyant et criminel et cessant totalement de l’aimer étant donné la violence de son rejet au message Divin et la gravité des actes qu’il commettait. Dieu a cité en parabole, la femme de Pharaon, à l’attention des croyants, lorsque celle-ci implora : Seigneur, construis-moi auprès de Toi une maison dans le Paradis, et libère-moi de Pharaon et de ce qu’il commet ; libère-moi [ô mon Dieu] des gens injustes [66;11].
Enfin, le Coran évoque l’amour que le Prophète (paix et salut sur lui) avait pour son oncle Abou Taleb, en lui mettant une limite. Abou Taleb avait en effet accueilli Mohammad, alors que celui-ci était âgé de 8 ans et avait toujours fait preuve de bonté à son égard. Après l’apostolat, Abou Taleb avait continué à manifester les meilleurs sentiments à l’égard de son neveu et ne cessa de s’interposer entre lui et ses détracteurs ; sans pour autant embrasser l’Islam. Aussi, le Prophète (paix et salut sur lui) fut très attristé de le voir mourir incroyant. C’est à cette occasion que Dieu révéla ce verset en guise de condoléance et d’encouragement à persévérer dans le droit chemin de l’acceptation de Sa volonté : Tu ne diriges pas celui que tu aimes: mais c’est Dieu qui guide qui Il veut. Il connaît mieux cependant les bien-guidés [28;56].
La biographie des premiers musulmans est remplie d’exemples parfois plus saisissants encore de ces limites morales que la foi impose à l’amour. Nous avons voulu dans notre exposé, nous contenter des récits coraniques et invitons nos lecteurs à se référer aux ouvrages consacrés aux compagnons pour approfondir ce sujet.
Et Allah sait mieux !