15:39 - Samedi 21 décembre, 2024

- 19. Jumādā al-Ākhira 1446

Entre ‘salafisme’ et ‘modernisme’ : le salafisme


Allah le Très Haut dit dans Son Livre : C’est ainsi que nous fîmes de vous une communauté du juste milieu afin que vous soyez modèles/témoins aux gens, tout comme le Prophète vous est modèle/témoin [2;143]. Après avoir vu le mois dernier, deux des caractéristiques majeures de la voie du juste milieu [al wassatiya] que sont al tayysir et al tabchir, nous allons aborder la position médiane, et juste à adopter vis-à-vis de deux courants contemporains, ayant chacun la prétention de vouloir réformer l’Islam, ou plutôt la compréhension  que les musulmans en ont, et de combattre les superstitions et les coutumes étrangères à la religion, chacun à sa manière. Ces deux mouvances sont les courants dits salafi et ‘moderniste’. Nous tâcherons de mentionner à chaque fois de manière brève et claire, leurs caractéristiques principales, leurs qualités et leurs défauts, cherchant par là la réforme [al islah] et non le dénigrement et la moquerie : ô croyants, qu’un groupe ne se moque pas d’un autre groupe, ceux-ci sont peut-être meilleurs qu’eux [49;11].

Le courant ‘salafi’

Pour le premier courant, la réforme ne peut se faire qu’en revenant aux fondements de notre religion. Ce retour aux sources pures que sont le Coran et la Sounnah authentique doit être joint à la compréhension qu’en avaient nos pieux devanciers : c’est-à-dire les trois premières générations de l’Islam que sont les compagnons du Prophète, leurs disciples et les élèves de ceux-là. C’est à leur sujet que l’Envoyé (paix et salut sur lui) dit : Les meilleurs de ma communauté, sont les gens de ma génération, puis celle qui les suivra puis celle qui la suivra [Al Boukhari & Mouslim]. Ce sont ces générations qui, de part leur proximité avec le Prophète (paix et salut sur lui) et la Révélation, avaient la meilleure compréhension et la pratique la plus saine de l’Islam. C’est eux que l’on appelle ‘al salaf al sâlih : les pieux prédécesseurs. C’est de là qu’a été tiré le qualificatif de salafi qui décrit les divers courants et mouvements, qui prennent ces trois générations pour modèle de référence dans leur compréhension et leur pratique de l’Islam, et qui appellent les musulmans à en faire de même.

Si on ne peut que louer et prendre exemple sur un tel mouvement, du point de vue théorique, il n’en reste pas moins que certains groupes [djama’at] s’affiliant à ce courant de pensée commettent des erreurs et des exagérations religieuses [ghoulouwa fi ddin], desquelles nous devons nous éloigner. Nous en citons quelques unes.

Le fait d’interdire de suivre l’une des quatre écoles alors que toutes ces écoles sont fondées sur le Coran et la Sounnah [Voir article Les quatre écoles]. Or, tout le monde n’est pas juriste, et tout le monde, loin de là, n’a ni les outils ni la connaissance nécessaire ni même l’accès aux ouvrages de référence pour déduire seul les règles des Textes ! C’est pour cela que le suivi [al ittiba’] d’une école reconnue ou d’un Imam compétent et bien formé, est recommandé pour les profanes que nous sommes. Quant au mimétisme [taqlid]que condamne le Coran, il consiste à  prendre pour modèle la personne pas suffisamment instruite au niveau religieux ou pas assez compétente : Et quand on leur dit : Suivez ce que Dieu a fait descendre, ils rétorquent : Non, mais nous suivrons les coutumes de nos ancêtres. – Quoi ! Et si leurs ancêtres n’avaient rien raisonné et s’ils n’avaient pas été dans la bonne direction ? [2;170].

Le fanatisme vis-à-vis des chouyoukh en pensant que quiconque adopte un avis contraire à son cheikh ou à son minhaj est dans l’erreur ou suit sa passion. Ce défaut, n’est pas propre aux groupes salafis, mais se retrouve chez beaucoup de djama’at. Alors, puisque nul n’est infaillible après le Prophète (paix et salut sur lui), pas même Malik, Al Shafii, Abou Hanifa ou Ahmad, à plus forte raison, nous ne pouvons pas considérer comme infaillibles, les chouyoukh contemporains quels qu’ils soient ! Et à tous nous rappelons ces paroles du Cheikh al Islam, Ibn Tayymiya qui disait : Quiconque surestime une personne quelle qu’elle soit, aime ou déteste selon qu’on est ou pas en concordance avec ses paroles et ses actes, fait parti de ‘ceux qui ont divisé leur religion et fondé des sectes’ [30;32]. Dans une autre des ses fatwas le Cheikh al Islam dit : il n’est pas permis de se lier à un cheikh, considérant comme amis ceux qui le suivent et comme ennemis ceux qui ne le suivent pas, mais on doit plutôt prendre pour amis les gens de la foi et ceux dont on connait la piété…

Le fait de se montrer ferme ou intransigeant dans des sujets secondaires [al fourou’ wal moutaghayyirat]. Comme nous l’avons vu le mois dernier, la fermeté n’est requise qu’en ce qui concerne les fondamentaux [al oussoul wa-thawabit]. Or pousser la fermeté jusque dans les sujets de divergences entraîne certains de nos frères à ne pas reconnaître la divergence d’opinion tolérée et à dénigrer leur frère, pour un avis qu’il suit, en l’accusant de suivre sa passion. Pourtant, l’Envoyé d’Allah (paix et salut sur lui) a dit : il suffit comme défaut que de mépriser son frère musulman [Mouslim]. De plus, l’histoire démontre que la fermeté dans les sujets secondaires conduit souvent certains Mouftis à faire preuve tôt ou tard de laxisme dans des sujets fondamentaux, touchant aux choses sacrées.

La tendance au littéralisme, c’est-à-dire à se focaliser sur le sens littéral des Textes, au dépend de leur sens [Cf. Entre la lettre et l’esprit], ce qui a poussé certains savants à qualifier ces mouvements de néo-dhahirites en référence à l’école littéraliste de Dawoud Ibn ‘Ali. Or si l’approche littéraliste des Textes est tolérée, comme dans le cas du groupe de compagnon auquel le Prophète (paix et salut sur lui) recommanda de ne pas prier la ‘asr avant d’arriver au quartier des bani Qouraydha, pour les inciter à se dépêcher d’y aller, et qui fit la prière après la tombée de la nuit, pour respecter à la lettre la directive prophétique ; cela peut poser problème, lorsque cette approche va à l’encontre des objectifs des Textes ou de l’intérêt général [maslaha al dinniya].Nous avions déjà cité l’exemple de la détermination du début de mois de Ramadan et de sa fin, par le calcul ou l’observation visuel [Cf. La Sounnah entre la fin et les moyens].

L’exagération dans le tabdi’ ou dans le fait de qualifier beaucoup de pratiques d’innovations [bida’a] alors qu’elles ne le sont pas. Ainsi, certains de nos frères qualifient l’utilisation du chapelet [tasbihpour le dhikr, ou le fait de réciter le Coran ou d’invoquer Allah en groupe, ou le fait de lever ses mains lors des invocations, d’innovations et ceux qui pratiquent cela d’innovateurs, alors que ces opinions sont admises par de nombreux savants, quand il ne s’agit pas de la majorité [al joumhour] qui s’appuient sur le Livre et la Sounnah. Or comme nous l’avons vu, on ne peut qualifier d’innovation qu’une pratique qui ne s’appuie sur aucun Texte [Cf. Le rejet des innovations]. Le pire est lorsqu’au nom de ces sujets, les frères se lient ou se fâchent les uns les autres [al wala wal bara], et cela constitue une véritable innovation, qui a pour conséquence de diviser les rangs et de susciter l’inimité.

Le fait d’élargir les domaines des grands péchés et des interdits. Comme le fait de juger que celui qui rase sa barbe est un pervers dont on ne peut accepter le témoignage, ou pire de remettre sa foi en cause ; ou encore le fait de considérer qu’écouter de la musique est un péché capital. Il y a dans l’Islam des sujets de consensus et d’autres qui font l’objet de divergences, comme il y a des actes qui remettent en cause l’Islam de la personne, et d’autres qui sont des péchés majeurs et d’autres qui sont des péchés mineurs. Si rendre licite ce qu’Allah a interdit est au minimum un péché capital, interdire ce qu’Il a autorisé en est un également. Tout mettre au même niveau contribue à semer la confusion dans l’esprit des musulmans et à donner à tous une image déformée de notre religion.

La critique destructive des savants qui ne sont pas de leur minhaj. Il y a une critique constructive, qui vise la réforme et qui fait partie de la nassihobligatoire. Mais il y a une autre critique destructive qui vise à humilier la personne, en concentrant son regard sur ses présumées erreurs en se taisant sur ses qualités nombreuses, ses œuvres et ses efforts au service d’Allah et de sa religion. Ce genre de critique s’appelle en arabe al fadiha. Certains choyoukhs de ce courant, au nom de la dénonciation des erreurs et au moyen de la réplique (radd) systématique, n’ont épargné que peu de nos savants. Même l’Imam Al Nawawi et le hafidh IbnHajar sont passés sous le feu de leurs critiques ! Qu’Allah nous réforme tous et nous guide au droit chemin !

La non ou mauvaise prise en compte du contexte. Quelques-uns de nos frères pensent bien faire en propageant dans nos villes et nos mosquées, des fatwas qui proviennent d’autres régions du monde, et qui ont été éditées à destination d’autres populations avec leurs propres histoires et leurs propres cultures. Citons par exemple l’interdiction faite à la femme musulmane de conduire, ou l’obligation pour elle de couvrir son visage et ses mains etc. En dehors du fait, que ces avis sont très discutables et discutés par de nombreux savants, y compris dans ces régions du monde, nous devons quant à nous, nous demander s’ils sont adaptés à la situation qui est la nôtre ici. Or si les fondements [al thawabit] ne changent pas d’une époque à une autre ou d’une région à une autre, il n’en va pas de même des ramifications de la Loi [al fourou’], qui peuvent et doivent même changer, et c’est cela qui garantit la pérennité et l’essor de l’Islam. C’est ainsi que l’Imam al Shafii est connu pour avoir eu deux madhab : son école de Bagdad et son école du Caire. En effet, face à des populations et un contexte différents, loin de se renier, l’Imam al Shafii a dû revoir beaucoup de ses avis qui n’étaient pas adaptés à la nouvelle situation. Le juriste doit en effet prendre en considération le contexte [al waqi’] et les coutumes locales [al ‘ourf] dans l’émission de ses avis. Ibn al Qayyim résume cela en disant que le faqih est celui qui arrive à concilier les Textes à la réalité du terrain, et que chaque époque a ses règles.

Et Allah sait mieux.


Rubrique: Les justes de la communauté