17:36 - Samedi 21 décembre, 2024

- 19. Jumādā al-Ākhira 1446

Le roi des savants, Izz Ibn Abd Al Salam


Parmi les grands hommes qui ont marqué l’histoire musulmane, peu ont eu l’occasion de s’illustrer comme l’a fait le cheikh al Islam ‘Izz Al Din Ibn Abd Al Salam à son époque. Il s’est distingué dans tous les domaines du savoir et de la spiritualité, surpassant la plupart de ses contemporains. Il n’en était pas moins un homme d’action qui a énormément œuvré au service de sa religion.

‘Izz Al Din Ibn Abd Al Salam, plus connu sous son diminutif d’Al ‘Izz, et surnommé le roi des savants (soultan al ‘oulama), est né à Damas en 577 H. (1182 E.C.). Il étudia auprès des plus grands savants de son temps, tels Ibn Asakir, ou encore Abou Mohammed Al Qassim.

Le biographe Al Dhahabi dit de lui que dans sa maîtrise de la jurisprudence, dans sa dévotion et dans sa connaissance de Dieu, il a atteint ce degré rare et parfait qui permet au savant d’exercer l’ijtihad en interprétant la Loi révélée de Dieu pour en déduire directement de nouvelles règles. Aussi, lorsque Al ‘Izz est arrivé en Egypte, l’imam Al Moundhiri a arrêté de donner des avis juridiques, prétextant qu’il ne convenait pas pour un juriste de donner son avis alors que ‘Izz Al Din était présent !

Au-delà de son savoir immense, c’est plutôt par son action qu’Al ‘Izz s’est distingué, en mettant en pratique ses connaissances, luttant sur tous les fronts pour défendre l’Islam et améliorer la condition des gens. Il était doté d’un courage exceptionnel, et ne reculait jamais lorsqu’il s’agissait de faire triompher la vérité, fusse-t-il contre le plus puissant des hommes. Cela lui valu d’être emprisonné après s’être élevé ouvertement contre le sultan Salih Ismail qui avait fait alliance avec l’ennemi, contre des musulmans, pour consolider son pouvoir et prendre le contrôle de l’Egypte. Le sultan qui avait, malgré tout, besoin de l’appui du savant pour gagner l’opinion publique, lui offrit de le gracier s’il consentait à se ranger de son côté et de lui baiser les mains. Al ‘izz répondit à ses émissaires : ‘Comme votre proposition est étrange ! Vous espérez de moi que j’embrasse les mains du sultan, alors que je refuserai qu’il embrasse les miennes ?! Vraiment vous et moi vivons dans deux mondes qui n’ont rien à voir !’ À la mort du sultan, il fut reçut en Egypte, avec les honneurs, par le roi Ayyoub, qui le nomma juge suprême et en fit son conseiller.

Un jour alors que le roi organisait une grande réception où étaient présents tous les grands du royaume, Al ‘Izz l’interpella publiquement pour lui reprocher le fait que les boissons alcoolisées, que l’Islam interdit, étaient vendues librement, dans une société très majoritairement musulmane, et avec tous les troubles que cela générait. Il n’avait pas l’intention de nuire au roi, ni de l’humilier, son objectif était de lui faire prendre conscience de ses responsabilités face à Dieu en tant que gouverneur. Au terme de la discussion, Ayyoub accepta humblement son conseil et prit les mesures qui s’imposaient. Une autre fois, on l’informa qu’un ministre avait fait bâtir un lieu de débauche au-dessus d’une mosquée. Furieux, Al ‘Izz sortit lui-même, accompagné de son fils, pour détruire cette construction, à la suite de quoi il inscrivit ce ministre sur la liste des personnes dont on ne peut accepter le témoignage. Confiant dans sa position, le ministre reçut cette décision avec mépris, mais voyant finalement que sa légitimité avait été sérieusement ébranlée, il finit par se repentir.

Al ‘Izz était intransigeant quant au fait de propager le bien et mettre fin aux turpitudes. Il dédia sa vie à ce noble objectif quand bien même cela lui aurait été néfaste, en application du verset suivant : ‘Pourquoi exhortez-vous un peuple qu’Allah va anéantir ou châtier d’un châtiment sévère ?’ Ils répondirent : ‘Pour dégager notre responsabilité vis-à-vis de votre Seigneur ; et peut-être deviendront-ils pieux !’ [7;164]. Une telle attitude permet d’ancrer la vérité dans les cœurs, d’inspirer les autres à faire de même et de créer une dynamique de changement vers le bien grâce au soutien massif de la population. Aussi, rappelons que le fait de blâmer un mal n’est pas sans conditions. Pour se faire, il faut que le mal fasse l’unanimité dans son interdiction, qu’il ait été constaté de tous, de façon explicite et évidente, et que cela n’entraîne pas un mal plus grand encore.

‘Izz Al Din joua un rôle essentiel face à l’invasion des armées mongoles, qui après avoir détruit Bagdad, la capitale musulmane, menaçaient l’Égypte, et même l’Europe. Il était alors le plus proche conseiller du sultan Al Moudhaffar Qoutouz, plus connu sous le nom de Sayf Al Din. Il déploya toute son énergie pour unir les musulmans et repousser l’envahisseur, qui constituait une menace comme jamais l’empire musulman n’en avait connu alors. Il organisa une campagne de mobilisation sans précédent, et participa à l’élaboration des stratégies en compagnie des princes et des chefs. Ces derniers souhaitèrent imposer au peuple le financement de l’effort de guerre par une augmentation des taxes. Al ‘Izz, fidèle à ses principes de justice et d’équité, formula cependant un avis juridique tout à fait différent ; ‘Si vous augmentez les impôts des citoyens, déjà lourdement taxés, alors que les princes et la noblesse mènent un train de vie luxueux, ils vont se sentir injustement traités. Avant de réclamer à la population, il faut que vous- mêmes ayez dépensé votre surplus, vos parures, et vos pierres précieuses, devenant ainsi semblable au reste de la population. Alors seulement vous pourrez compter sur le soutien de Dieu puis du peuple. Sachez que l’on ne peut prétendre combattre pour la cause de Dieu tant que l’injustice règne dans notre société.’ Certains princes tentèrent de s’opposer à cet avis, mais ils ne pouvaient résister face à la détermination du roi des savants.

‘Izz Al Din mourut en 660 H. (1261 E.C.) en Egypte, deux ans après la victoire sur les mongols. Il fut parmi ces savants, aujourd’hui rares, dignes et vrais héritiers des prophètes. Parmi ceux qui vouèrent leur vie entière à prêcher le bien, à promouvoir la justice, rappelant à l’ordre les puissants, plein de compassion envers les peuples démunis, fermes et infatigables dans leur tâche, ne redoutant le blâme ou la menace de quiconque. Le monde musulman pleura abondamment la perte de celui qui combattait l’injustice sans compromis.


Rubrique: Biographies