9:20 - Jeudi 21 novembre, 2024

- 19. Jumādā al-Ūlā 1446

La Foi Véritable


[14] Des bédouins ont affirmé : « Nous croyons en Dieu ! » Rétorque-leur : « Vous n’avez pas encore la foi ! Dites plutôt : “Nous nous sommes seulement convertis”, car la foi n’a pas encore pénétré vos cœurs. Si vous obéissez à Dieu et à Son Prophète, Il ne vous lésera en rien dans vos œuvres, car Dieu est Clément et Miséricordieux. »

Al Chawkani explique qu’à partir du moment où le Coran a fait de la piété le nouveau critère de distinction entre les individus, certains ont jugé opportun de prétendre avoir la foi, afin de trouver leur place dans la nouvelle société musulmane. La plupart des traductions du Coran retranscrivent littéralement le phrasé coranique « Qaalat al a’rab » par « les bédouins ont dit« . Or l’approche littérale n’est pas toujours la plus fidèle au texte. En effet, les bédouins – habitants du désert – évoqués dans ce verset ne sont en fait qu’une tribu : les béni Asad. Si la langue coranique permet l’utilisation d’un article défini (les), les arabes musulmans témoins de la Révélation savaient bien que ce texte ne désignait pas l’ensemble des bédouins mais uniquement un groupe d’entre eux, ce qui se traduit en français par l’article indéfini « des ». Mohammad Al Amine Al Chinqiti confirme cela dans son exégèse en citant le verset suivant, qui prouve que le verset a une portée restreinte et non générale : « et parmi les bédouins, il en est qui croient en Allah et au Jour Dernier… » [9;99]. Ce qui vaut ici pour les bédouins vaut pour d’autres groupes désignés dans le Coran avec un article défini, celui-ci peut avoir et a souvent en fait une portée restreinte. Allah éprouve nos intelligences et nos cœurs à travers Ses paroles. Nous devons donc veiller à réunir les textes et à connaître leur contexte de formulation pour en déterminer la portée et le sens exact.

Al Baghawi rappelle pour sa part que la seule conversion n’est pas suffisante, même lorsque l’on pratique les piliers de l’Islam, tant que le cœur n’adhère pas pleinement au message. C’est la différence entre l’Islam qui est l’acceptation apparente du message, et l’Iman, la foi, qui est le fait de ressentir affectivement cette soumission et d’y adhérer intellectuellement. Il rapporte ensuite cette parole du Prophète (paix et salut sur lui) qui confirme cette nuance subtile entre ces deux degrés, lorsqu’un compagnon parla d’un homme au Prophète (paix et salut sur lui) en lui disant : « que penses-tu d’un tel, par Allah c’est un croyant », et le Prophète (paix et salut sur lui) de répondre à chaque fois : « ou plutôt un (simple) musulman » [Al Boukhari & Mouslim]. Nous connaissons évidemment aussi le hadith dit de Jibril; que cite Ibn Rajab dans son exégèse, qui établit trois grades hiérarchisés entre l’Islam, l’Iman (foi) et l’Ihsan (excellence).

Al Razi se pose plusieurs questions à la lecture de ce verset. Entre autres remarques, il dit ceci : Allah dénie ici la réalité de la foi d’individus en leur disant « vous n’avez pas encore la foi », tandis qu’Il nous interdit par ailleurs de remettre en cause la foi d’individus : « ô croyants, lorsque l’on vous adresse le salam, ne dîtes pas « vous n’êtes pas croyants »… » [4;94]. Al Razi explique ensuite que seul Allah connaît la réalité du cœur, et qu’il n’est pas permis aux musulmans de suspecter ou de mettre en doute la foi de leur coreligionnaire, sur la base de préjugés. Nous devons juger selon la réalité apparente des individus et non sur la base de soupçons : toute personne se déclarant croyante est croyante jusqu’à preuve formelle et non-équivoque du contraire. Nous ne pouvons suspecter les gens à tort et à travers d’hypocrisie ou d’avoir une foi faible ou encore de remettre en cause leur sincérité. L’utilisation de textes formulés dans un contexte donné, dans un autre contexte très différent, ne légitime aucunement ce genre de comportement.

Ibn ‘Achour dit : « à travers Sa parole « et si vous obéissez à Allah et à son messager… » Allah indique le remède pour guérir une foi malade, ou pour renforcer celle-ci ». Cette obéissance se manifeste dans la pratique visible, comme dans la dimension intérieure (éthique, spirituelle), comme le rappelle Al Baghawi. L’auteur du Dhilal remarque qu’Allah par sa grâce a conditionné l’octroi de Sa récompense au fait de suivre les prescriptions, car cela est à notre portée, et pas à l’état du cœur, car nous n’avons qu’un pouvoir limité sur nos sentiments.

Remarquons enfin la pédagogie de ce verset qui ne nie pas la possibilité que les individus de cette tribu deviennent croyants par la suite (« la foi n’a pas encore pénétré vos cœurs ») et les encourage à poursuivre leur cheminement en évoquant les attributs de pardon et de miséricorde, comme pour leur dire, que bien qu’ils aient menti au Prophète et que cela est un grand péché, cela ne les exclue pas pour autant de concourir à la miséricorde de Celui qui pardonne tous les péchés.

[15] Les vrais croyants sont ceux qui ont foi en Dieu et en Son Prophète, sans plus jamais connaître de doute, et qui mettent leurs biens et leurs personnes au service de Dieu. Tels sont les croyants sincères.

Le verset suivant décrit les vrais croyants, ceux dont la foi est parfaite et totale comme le dit Ibn Kathir. Sayyed a cette remarque pertinente que nous retraduisons ainsi : l’expression « sans plus jamais connaître de doute » induit une constance dans le cheminement, malgré une situation et un contexte fluctuants, des épreuves et des difficultés qui surviennent inexorablement dans la vie de tous les hommes, mais en particulier dans celle des croyants de toutes les époques : « pensez-vous que entrerez au Paradis sans connaître les mêmes épreuves que vécurent vos prédécesseurs… » [2;214]. Il n’y a que la traduction pratique à travers la constance et l’engagement de la vie que la sincérité de cette foi se manifestera.

[16] Dis-leur : « Allez-vous apprendre à Dieu votre religion, alors qu’Il connaît tout ce qui est dans les Cieux et sur la Terre ? Dieu n’embrasse-t-Il pas de Sa science toute chose ? »

Rien n’échappe à Allah qui a créé et administre à chaque instant cet univers et les milliards d’étoiles et de galaxies qu’il contient et certainement d’autres dimensions qui échappent à notre connaissance. L’infiniment petit et l’infiniment grand ne Lui échappe aucunement. Ce verset nous rappelle que mêmes nos idées, nos sentiments et nos pensées profondes, bien qu’immatériels, n’échappent pas au savoir d’Allah qui sait absolument tout ! C’est ce qui sera rappelé par le dernier verset : [18] Dieu connaît parfaitement le mystère des Cieux et de la Terre, et Il a une claire vision de tout ce que vous faites.

[17] Ils te rappellent leur conversion à l’islam comme si c’était un service qu’ils t’auraient rendu. Dis-leur : « Ne vous targuez pas ainsi de votre conversion. Ce serait plutôt à Dieu de vous rappeler la grâce qu’Il vous a faite en vous guidant vers la foi, si toutefois vous êtes sincères. »

Ici, Allah évoque le cas de ces mêmes bédouins pour qui la conversion n’était finalement qu’un acte stratégique, à visée politique, qui a consisté à rallier la cause du Prophète (paix et salut sur lui) plutôt que de rallier les qorayshites. Ils pensaient et espéraient en cela bénéficier de quelques faveurs matérielles qu’ils vinrent réclamer au Prophète (paix et salut sur lui). Là Allah va leur répondre en mettant en évidence que celui qui se convertit ne le fait que dans son propre intérêt, Allah n’ayant besoin de rien ni personne. Au contraire, c’est une faveur d’Allah – et quelle faveur – que d’avoir été guidés à l’Islam. En un autre endroit, Allah dit à son Prophète (paix et salut sur lui) : « ne t’a-t-Il pas trouvé égaré ? Il t’a guidé (…) le bienfait de ton Seigneur partage-le » [93;7-11].

Dans l’exégèse fi dhilal al Qor’an nous lisons le commentaire suivant : « La foi est sans discussion possible le plus grand bienfait dont Allah peut combler ses serviteurs sur la terre. Cette grâce est plus grande encore que l’existence, la subsistance, la santé et les plaisirs. Pourquoi cela ? Eh bien, parce que, dès lors que la foi s’installe en l’être humain, celle-ci va alors lui permettre de porter un regard nouveau et plus vaste sur son existence, de comprendre le sens de sa vie, le rôle qu’il a à jouer, et la raison d’être des personnes et des évènements. Elle lui permettra de surcroît d’être serein durant son séjour sur cette planète jusqu’à ce qu’il retourne à son Créateur. Il pourra alors vivre en osmose avec son environnement, en osmose avec son Créateur…


Rubrique: Exégèse du Coran