La série des « dix commandements » de la sourate al An’am dont nous avons entamé l’étude depuis quelques mois, reprend ensuite en évoquant les orphelins : « ne vous approchez des biens de l’orphelin que de la plus belle manière, jusqu’à ce qu’il ait atteint sa majorité » [6;152].
Beaucoup avaient jadis la charge d’orphelins, souvent enfants de frères ou de sœurs décédés du fait d’une plus forte mortalité. Notre bien-aimé Prophète naquit lui-même orphelin de père, puis de mère ; il fut d’abord recueilli par son grand-père Abdelmouttaleb, puis par son oncle Abou Taleb lorsque ce dernier décéda. Le Coran nous rappelle dans maints versets l’impératif de gérer avec scrupule l’héritage de l’orphelin. L’objectif étant de ne pas priver ces enfants, déjà éprouvés, de ce que leur ont légués leurs parents, une fois la majorité atteinte. Plus globalement, l’Islam fait la part belle aux orphelins, aux veuves et à tous les déshérités. Dans l’une des premières sourates révélées, le Coran répond avec vigueur à ceux qui se plaignent de leur situation accusant leur Seigneur d’être à l’origine de leur malheur : « Mais non ! C’est vous plutôt, qui n’êtes pas généreux envers les orphelins ; qui ne vous incitez pas mutuellement à nourrir le pauvre, qui dévorez l’héritage avec une avidité vorace, et aimez les richesses d’un amour sans bornes » [89] et reproche aussi àl’homme qui se vante de son œuvre tandis qu’il sous-estime les bienfaits d’Allah et porte peu d’égard à son prochain : il ne veut pas s’engager dans la voie difficile… quelle est donc cette voie difficile ? C’est délier un joug ou nourrir, en un jour de famine, un orphelin proche parent ou un pauvre dans le dénuement et c’est être, en outre, de ceux qui croient et se motivent les uns les autres à la patience et à la miséricorde » [90;11 à 17].
Que l’on ne s’y trompe pas, ce sont bien ces valeurs qui sont, avec le tawhid, le fondement éthique et moral de notre religion. C’est en pratiquant ces principes que les salafs de cette communauté ont mérité qu’Allah leur ouvre les portes d’Est et d’Ouest afin qu’ils puissent propager ces préceptes. Ce sont ces sounan sujettes au consensus que nos réformateurs et autres chouyoukh doivent « déterrer » en priorité pour le salut de la oumma. Allah ne donne la stabilité qu’à ceux qui prennent soin des plus faibles et qui respectent le droit des minorités, dans Sa Justice et sans regard pour la croyance ou l’incroyance, qui sera le critère déterminant dans l’au-delà.
Le passage de la sixième sourate poursuit en nous réclamant l’honnêteté et la justice dans les transactions et le commerce : « soyez honnêtes et justes dans la pesée – dans la mesure de vos capacités ». Dans un autre passage, également parmi les premiers révélés, Allah annonce : « Malheur aux escrocs ! Durs en affaire lorsqu’il s’agit de défendre leurs intérêts et prompts à abuser autrui lorsqu’ils commercent avec eux ! Ceux-là ne pensent-ils pas qu’ils seront ressuscités, en un jour terrible, le jour où les gens se tiendront debout devant le Seigneur de l’Univers ?! » [83;1 à 6]. La rigueur, la transparence, l’honnêteté dans les transactions et, plus généralement, dans le travail et la vie de tous les jours, sont autant de valeurs promues par l’Islam authentique. Le Prophète (saws) passant un jour au marché vit un sac de blés dont les grains en surface étaient de bonne qualité ; il plongea sa main dans le sac et en sortit de son fond des grains de moins bonne qualité. Il dit ensuite : « Pourquoi n’as-tu pas mis en évidence les défauts de ta marchandise ? Celui qui nous trompe n’est pas des nôtres » [Mouslim]. Où en sommes-nous donc aujourd’hui de la pratique de ces commandements ? Les musulmans sont-ils connus pour être des exemples d’honnêteté dans le commerce ? Sinon, que s’est-il donc passé dans notre histoire ? Quel ennemi nous a dérobé cette valeur ?
Cette équité, cette justice, doivent être présentes au-delà du commerce, au-delà du travail, dans toutes les situations, dans nos actes, comme dans nos propos : « Soyez équitables dans vos propos », « même lorsqu’il s’agit d’un proche »ajoute le verset. Le fait que notre interlocuteur soit un proche, comme le fait de parler à sa femme ou à ses enfants, à ses employés, à ses collègues ou ses amis, ne doit pas nous autoriser à être injustes. La justice et l’équité restent de mise en toute circonstance. Soyons justes, nous ne redouterons alors plus l’injustice de quiconque et pourrons affirmer « Allah ma’ana », « Allah est avec nous ! ». Si au contraire, nous nous faisons connaître par l’injustice et laissons l’image de l’Islam être ternie par des comportements injustes de musulmans nous n’obtiendrons alors d’Allah aucun secours et risquons d’être soumis à toutes les injustices ! « Par celui qui tient mon âme dans Sa main, dit l’Envoyé d’Allah (saws), vous commanderez le bien et interdirez le mal ou bien vous ne serez certainement pas loin de voir Dieu envoyer sur vous un châtiment venant de Lui. Vous L’invoquerez alors et Il ne répondra pas à votre appel » (Al Tirmidhi : hassan).
Cette justice dans les propos s’appelle l’objectivité. Être musulman implique normalement d’être objectif. C’est savoir rapporter une information de façon dépassionnée pour laisser aux gens la possibilité d’en faire eux-mêmes l’analyse. C’est être objectif quel que soit l’interlocuteur que l’on a en face de nous, quel que soit le sujet traité. L’objectivité c’est de considérer le bien et le mal, ce que l’on apprécie et ce que l’on n’apprécie pas, ce avec quoi nous sommes d’accord et ce que nous réprouvons. Être objectif commence avec nous-mêmes, en tant qu’individus et en tant que communauté. Être objectif c’est être capable de faire son autocritique, de reconnaître ses limites, ses faiblesses et ses failles : « Ô vous qui croyez soyez stricts en justice, témoins pour Allah, fusse à votre charge, à celle de vos parents ou de vos proches… » [4;135], « Ô vous qui croyez soyez droits devant Allah, témoins objectifs ; et que le ressentiment envers des gens ne vous autorise pas à être injustes [5;8].
« Honorez votre engagement envers Allah » en étant fidèles à toutes ces valeurs, à tous les commandements que nous avons évoqués. C’est aussi pour certains commentateurs classiques, une invitation implicite à accomplir les prières, le jeûne et le culte prescrit. Culte qui n’est, remarquons-le, et malgré son importance, pas évoqué de façon explicite dans tout ce passage ; comme pour nous dire que le culte repose avant tout sur un socle moral et éthique, qui lui-même repose sur la croyance : « N’associez rien à Allah »stipulait le premier commandement.
Tenir notre engagement envers Allah, c’est aussi tenir nos engagements envers les Hommes, tous les hommes et non les seuls croyants. Allah lorsqu’Il définit la piété pour éviter que les musulmans se focalisent sur les « aspects techniques » dit : « la bonté pieuse ne consiste pas à tourner vos visages à l’Est ou à l’Ouest, mais c’est plutôt de croire en Allah, au Jour Dernier, aux Anges, aux Livres et aux Prophètes, et de faire preuve de générosité, par amour, aux proches, aux orphelins, aux nécessiteux, aux voyageurs en transit, à ceux qui demandent de l’aide, et à ceux qui sont endettés ; c’est aussi d’accomplir les prières, de donner la zakat et d’honorer ses engagements… » [2;177].
Nous insistons sur le fait que le respect des engagements vaut pour tous les hommes quelle que soit leur foi. Si nous privons les gens du comportement islamique sous prétexte de leur incroyance, nous serons comparables à ceux qui furent maudits dans le passé : « il y a parmi les gens du Livre ceux à qui tu pourrais confier des lingots d’or, il te les rendrait sans souci, tandis qu’à d’autres, si tu leur confiais quelques sous, ils ne te les rendraient qu’à condition que tu les harcèles. Ils se disent qu’ils n’ont aucun compte à rendre vis-à-vis des gens qui ne sont pas de leur communauté, et disent sciemment des mensonges sur Allah tandis (qu’au fond d’eux) ils savent (très bien qu’ils mentent). Non ! mais quiconque tient ses engagements et craint Allah, alors Allah aime les pieux. Quant à ceux qui ne tiennent pas l’engagement d’Allah et vendent leurs serments, ils n’auront rien dans l’au-delà, Allah ne leur adressera pas la parole, ne les purifiera pas, ni ne les regardera le Jour du Jugement. Ils subiront un supplice terrible » [3;75]. Tout au contraire, le Coran nous invite à faire preuve de bonté et de justice envers nos concitoyens non-musulmans : « Allah ne vous interdit aucunement de vous montrer bienfaisants et justes envers ceux qui (parmi les incroyants) ne vous ont point persécutés pour la religion et ne vous ont point expulsés de vos demeures, mais Allah aime plutôt les hommes justes » [60;8].
Gravons dans nos mémoires ces commandements, au-delà de la lettre. Imprimons pour de bon ces principes dans nos esprits pour mieux les mettre en pratique dans nos vies, à l’échelle individuelle et collective ; défendons ces valeurs par les actes : « Voilà donc ce à quoi Allah vous exhorte afin que vous vous souveniez ».
Le dixième et dernier commandement nous prescrit de mettre en pratique l’ensemble de ces règles et de ces valeurs qui tracent le droit chemin qui conduit vers Allah, en évitant les impasses des « sectes » et des groupes qui appellent à autre chose qu’à cela : « Ceci est Mon droit chemin suivez-le et ne suivez pas les routes qui s’en écartent ».
Le tout nous aidant à faire nôtre, cette qualité qui implique l’amour d’Allah qu’est la piété et qui doit demeurer notre objectif : « Voilà donc ce à quoi Allah vous exhorte afin que vous vous préserviez (soyez pieux) ».