Nous avons vu que les musulmans furent très attristés de la ratification par le Prophète (paix et salut sur lui), du traité d’Al Houdaybiyya, dont les conditions leur paraissaient totalement injustes. À tel point que ‘Omar ibn Al Khattab, pourtant connu pour son grand discernement, ne put s’empêcher ce jour là d’exprimer ses doutes au Prophète (paix et salut sur lui) sur un ton de reproche : N’es-tu pas le messager de Dieu ? Ne sommes-nous pas dans la vérité, et nesont-ils pas dans l’erreur ? Alors pourquoi subir tant d’humiliations, et voir notre religion rabaissée ?
De notre point de vue, et de celui de la masse, les négociations paraissent effectivement avoir été un échec. Pourtant, Allah atteste dans Son Livre en parlant de cet événement : ‘En vérité Nous t’avons accordé une victoire éclatante’ [48;1]. En réalité, ce n’est qu’aux vues des conséquences de ce traité que nous pouvons saisir la portée grandiose de cette parole Divine, de même que les raisons qui ont motivé la décision du Prophète (paix et salut sur lui). On note ainsi que pendant les deux seules années qui ont suivies la trêve d’Al Houdaybiyya il y eut bien plus de conversions que durant les dix-neuf années qui l’ont précédée.
Ce qui a échappé à tous, exception faite d’Abou Bakr, apparaissait clairement au Prophète (paix et salut sur lui) dont l’unique but était la satisfaction de son Seigneur et la réussite de la mission qui lui avait été assignée, c’est-à-dire la diffusion du message Divin à l’ensemble de l’humanité. Il vit en effet dans les termes de ce pacte l’occasion qu’il n’avait jamais eu encore de communiquer librement, au monde entier son message, lui qui a été envoyé comme miséricorde à l’univers, et dont l’un des premiers commandements qui lui fut révélé fut ‘Lève-toi et avertis.’ [74;2].
La victoire dont il est fait mention ici, réside donc essentiellement dans le fait que le Prophète (paix et salut sur lui) ait obtenu la possibilité, de façon officielle, de diffuser librement et largement son message, sans qu’il ne lui soit fait aucun obstacle. Il est à noter qu’avant ce traité, tous les moyens existants étaient mis en œuvre par ses ennemis pour isoler le Prophète (paix et salut sur lui) et empêcher la diffusion du message Divin. Tous ceux qui désiraient approcher le Prophète (paix et salut sur lui) étaient immédiatement suspectés, intimidés, menacés, sanctionnés, voir éliminés. Il n’y avait aucune place pour l’Islam dans l’espace public, et toute la propagande qui visait à discréditer le Prophète (paix et salut sur lui) et ses compagnons n’avait aucun contre poids, et ne bénéficiait d’aucun droit de réponse. En effet, les Mecquois veillaient à réduire au silence tous ceux qui souhaitaient adopter une opinion autre que la leur. Il s’agissait d’une réelle dictature de la pensée visant à étouffer la vérité de l’Islam qui aurait mis fin à leur imposture et au système tribal injuste qui régnait à l’époque, basé sur les privilèges illégitimes des riches et l’exploitation des plus faibles. Par conséquent, la seule version de l’Islam connue à travers la péninsule arabique n’était que mensonge et préjugés diffusés par les Mecquois et leurs alliés.
À la suite du traité, toutes les tribus de la péninsule, y compris celles de la Mecque, purent découvrir l’Islam authentique et le mode de vie des musulmans autrement qu’au travers des mensonges de leurs ennemis. Chacun pouvait se rendre librement à Médine, sans préjugés et sans crainte de représailles, et tous furent ébahis par la droiture et la vertu des musulmans.
La possibilité de diffuser son message est vite apparue au Prophète (paix et salut sur lui) comme une opportunité bien plus intéressante et un objectif bien plus élevé que la simple possibilité d’effectuer la ‘Omra, qui aurait profité uniquement aux musulmans alors présents, tandis que le monde entier allait bientôt tirer profit de sa décision, qui s’avèrera judicieuse.
On remarquera enfin la noblesse sans égale dont à fait preuve le Prophète (paix et salut sur lui) à cette occasion, tant envers ses ennemis qu’envers ses compagnons. Ainsi, malgré l’apparente arrogance des Mecquois, il reconnut dans leur attitude un réel aveu de faiblesse. Alors qu’ils avaient sans cesse méprisé les croyants, ils acceptaient maintenant de négocier avec eux d’égal à égal, ne se sentant plus la force d’arrêter ni même de freiner l’élan qu’avait pris l’appel islamique. Le Prophète (paix et salut sur lui), loin de penser à la vengeance, su ressentir ce geste dissimulé par l’orgueil et saisi l’occasion de prendre le dessus sur ses ennemis par la communication plutôt que par les armes. On peut penser aujourd’hui que si les musulmans avaient refusé ce traité et imposé leurs conditions par le combat, la portée de leur victoire aurait été bien moindre en comparaison de ce qu’ils ont obtenu par leur patience. Quant à ces compagnons, et devant leur refus d’obéir à ses ordres, il n’a pas cherché à les châtier sous le coup de la colère, comme l’aurait fait d’autres détenteurs de pouvoir, mais il a fait preuve de compréhension et de patience. Il n’a pas non plus cherché à passer sa colère sur sa famille, comme le font les gens faibles. Tout au contraire, il est parti chercher auprès de son épouse soutien et réconfort, puis a suivi ses conseils en toute humilité.
Tel est donc l’exemple du meilleur des hommes, et telle est la victoire éclatante mentionnée par Allah, la victoire selon l’Islam : sans victime, sans combat, ni dégât. Plutôt la victoire de l’endurance sur la précipitation, de la douceur et la patience sur la colère…