Mise en place de l’Etat dans la nouvelle société musulmane
L’image des Omeyades telle qu’elle est présentée dans la tradition musulmane est généralement négative ; ceci s’explique principalement dans le refus de reconnaître leur souveraineté comme un véritable califat, insistant pour en faire une simple royauté ayant trahi l’esprit de la constitution tel que le prophète Mohammad -la prière et le salut sur lui- l’avait établi. On ne doit cependant pas oublier que c’est précisément pendant leur règne et en partie sous leur impulsion, que l’islam s’est affirmé comme religion universaliste : réunissant sous bannière de nombreux peuples. Nous tenterons dans les prochains numéros de présenter la dynastie omeyade à travers trois axes ; la mise en place de l’Etat dans la nouvelle société musulmane nous servira d’introduction à ce qui sera abordé dans un deuxième temps où nous nous arrêterons sur les réalisations au sens large du terme des différents califes, pour venir conclure sur le déclin, ses causes et l’enseignement que l’on peut en tirer nous, musulmans du 15ème siècle de l’Hégire.
Le califat « bien-guidé » en arrivant à sa fin, laisse place à un tout autre système dans lequel le pouvoir se transmettra non plus par voie consultative -choura- mais par succession au sein d’une même famille : c’est la dynastie. Les Omeyades vont régner sur l’ensemble du territoire musulman à travers deux dynasties que sont la dynastie omeyade de Damas (661-750) et la dynastie omeyade de Cordoue (756-1031).
Tous les califes durant cette période descendent d’Omeyya Ibn ‘Abd-Shâms, notable de la tribu Koraish, mais ils se rattachent à deux branches distinctes au sein de son clan : les trois premiers califes, appelés Soufyânides, sont issus de la lignée d’Abou Soufyân Ibn Harb ; les onze autres, les Marwânides, descendent de Marwân Ibn al-Hakam. Nous aurons l’occasion de revenir sur la dynastie omeyade de Cordoue dans un autre numéro In Shâ’a Allah.
Sur le plan politique, le premier élément caractérisant cette période est le déplacement de son centre de Médine à Damas ; en effet la province de Shâm était administrée depuis plus de vingt ans par Mou’awiya ; d’aucuns y verront que Damas était économiquement plus riche et plus développée que Médine, qui vivait en grande partie grâce à ce qui lui venait de l’extérieur.
Sur le plan géographique et administratif, l’Empire s’étendra à son apogée, de la Chine à l’est en passant par le nord de l’Inde, la Transoxiane -région de l’Ouzbékistan- le nord de l’Afrique et une grande partie de l’Espagne ; chaque province de l’Empire sera administrée par un gouverneur qui gère sa région depuis des bureaux que l’on nomme dîwân(s), constitués dans un premier temps de trois divisions : la chancellerie, l’armée et l’impôt. Cette organisation administrative est en réalité issue de l’héritage des Byzantins et des Sassanides.
La société musulmane sous les Omeyades est fondée sur l’assimilation des Arabes et des non-Arabes ; en effet, des gens dont la lignée n’était pas d’origine arabe s’unirent par des liens généalogiques à des tribus ou des clans d’Arabes par une relation que l’on nommera mawlâ (pl) mawâlî. Les non-Arabes constituèrent sous les Omeyades la majorité de la population.
Sur le plan fiscal, le musulman étant soumis à la zakât sur ses biens, le non-musulman, quand à lui, est protégé selon les règles du pacte de dhimma, qui lui permet moyennant le paiement d’un impôt, al jizya, de bénéficier d’un ensemble de droits et de devoirs ; à cela, il faut ajouter un impôt foncier, al kharâj ; à juste titre nous rappelons que ces deux impôts n’étaient pas, tant s’en faut, des surprises pour les anciens sujets de Byzance et de Ctésiphon (ville en Irak) qu’ils payaient déjà bien avant la venue des Omeyades.
Ce qui frappe dans la civilisation arabe de l’époque omeyade, c’est la coexistence de deux mondes, l’ancien et le nouveau, qui subsistent l’un à côté de l’autre, comme il arrive d’ailleurs à toute époque de transition ; une génération qui a vécu la révélation au quotidien et une génération n’ayant jamais rencontré le Prophète-la prière et le salut sur lui- qui a une autre façon d’appréhender la vie et même la religion.
Au demeurant, la grande réussite des Omeyades lors de la mise en place de l’État, est sans aucun doute de ne pas avoir effacés les acquis des différentes civilisations qui étaient en place avant leur arrivé mais au contraire, de les intégrer dans le moule de l’islam et de ne pas avoir réduis à l’esclavage les populations des nouvelles contrées.
Et Dieu sait mieux…