19:28 - Lundi 30 décembre, 2024

- 28. Jumādā al-Ākhira 1446

« Le Messager parmi nous ! »


Immédiatement après nous avoir rappelé les bases de la bienséance dans la façon de nous adresser à autrui et après nous avoir mis en garde contre le fait de croire et de colporter tout ce qui se dit, Allah – Béni et Exalté – rappelle aux croyants l’honneur qui leur a fait et les faveurs dont Il les a comblés, les invitant ainsi à s’en montrer dignes :

« Sachez que l’Envoyé de Dieu est parmi vous. S’il écoutait trop souvent ce que vous lui racontez, vous seriez aux prises avec de grosses difficultés »

Ibn Kathir commente ainsi : « Sachez que le Messager d’Allah est parmi vous, honorez-le, respectez-le, comportez-vous correctement en sa présence et suivez ses directives, car il sait mieux où résident vos intérêts, il est plus attentionné envers vous que vous ne l’êtes vous-mêmes, et ses positions sont plus justes que les vôtres, comme Allah le dit : « Le Prophète a plus de droit sur les croyants qu’ils n’en ont sur eux-mêmes » [33 ;6]. »

Puis, l’exégète nous explique que l’opinion populaire (ici, celle des compagnons) n’est pas toujours, voire rarement, à même de conduire à l’intérêt général : « si [votre prophète-dirigeant] vous obéissait à de nombreuses occasions vous connaîtriez de grandes difficultés », principe sociopolitique qui se retrouve dans l’ordre cosmique : « si la vérité était conforme aux passions (populaires) l’univers et ce qu’il renferme en seraient bouleversés. Nous leur avons fait parvenir un rappel, mais ils se détournent de celui-ci » [23 ;71].

Nous sommes tout aussi concernés par cette invective Divine, bien que nous n’ayons pas eu la chance de côtoyer l’Envoyé d’Allah (paix et salut sur lui). Il demeure « parmi nous » par le souvenir, par ses enseignements, par sa tradition. Nous sommes nous aussi honorés d’être « la communauté de Mohammad » et devons, nous aussi nous montrer digne de cet honneur en nous abstenant du mensonge, de la vulgarité et plus généralement de tous ces mauvais comportements que le Coran résume par le terme de perversité (fousouq).

Ce passage met également en évidence le caractère que doit avoir le dirigeant responsable, à la fois soucieux et aimant son peuple, mais ne cédant pas pour autant à la pression populaire, prenant le temps de vérifier toutes les informations qui lui parviennent, de consulter ses conseillers experts, avant d’engager tout acte politique. L’être humain est, comme nous l’avons montré, par nature pressé et réagit souvent « à chaud » avec une vision court-termiste, centrée sur ses propres intérêts. Le croyant ordinaire, et plus encore le dirigeant, doivent réussir à dépasser ce bas instinct ; ne pas agir sous l’impulsion des sentiments et des passions, mais s’en remettre à leur raison et à la Révélation. Précisons que dans notre cas, s’en remettre à la Révélation ne signifie pas se baser sur des rêves ou des « visions », mais bien sur les textes authentiques et préservés, en s’appuyant sur une méthode d’analyse et d’interprétation rigoureuse.

« Cependant, Dieu vous a fait aimer la foi qu’Il a embellie dans vos cœurs, tandis qu’Il vous a fait détester l’impiété, la perversité et la désobéissance. Ce sont ceux-là les bien-guidés par la grâce et la générosité de Dieu, car Dieu est Omniscient et Sage »

Allah le Très Haut rappelle ensuite le bienfait dont Il a comblé les croyants en leur permettant de comprendre la foi, d’en percevoir la réalité, et de l’aimer. Nombreux sont ceux qui à l’inverse ont été bernés par le diable, ont obscurci leur cœur à force de péchés, au point de ne plus pouvoir percevoir la foi telle qu’elle est. Ces gens ont en horreur la foi, ils la détestent et la trouvent laide, elle les repousse et ne les attire point. On pourra tenter de leur expliquer qu’ils se trompent, ils s’entêteront le plus souvent dans leur vision biaisée, partielle et s’agripperont à leurs préjugés. C’est donc bien un bienfait immense dont Allah nous a comblés que de nous avoir permis de passer entre les mailles de ce filet satanique ; de ne point avoir laissé altérer notre perception du beau et du laid afin que nous puissions constater la différence qu’il y a entre le fait de servir Allah et de L’adorer d’une part ; et le fait de se rebeller contre Lui et s’opposer à Lui d’autre part. Le Prophète, pour sa part, invoquait Allah : « Ô Allah fais-nous donc aimer la foi et rends-la belle en nos cœurs ; fais-nous avoir en horreur la rébellion, la perversité et la désobéissance, fais que nous soyons des gens droits » [Ahmad & Al Hakim]. Ibn Kathir de citer en commentaire de ce verset, le hadith suivant : « Qui est heureux de faire le bien et s’attriste de pécher est croyant » [Al Tirmidhi, Ahmad, Al Hakim].

« Et si deux groupes de croyants en viennent à s’affronter, œuvrez à la réconciliation. Mais si l’un d’eux se montre intransigeant, combattez alors l’agresseur jusqu’à ce qu’il s’incline devant l’ordre de Dieu. S’il s’y conforme, réconciliez-les avec justice et impartialité, car Dieu aime les gens équitables »

Ce verset évoque la possibilité d’un conflit intracommunautaire et ordonne aux parties neutres d’intervenir dans pareille situation pour rétablir la paix. Les exégètes, tel Ibn Kathir, insistent sur le fait qu’Allah qualifie les parties en guerre de « croyants », bien que le fait d’attenter à la vie d’autrui soit un péché capital : « Quiconque tue intentionnellement un croyant, Sa rétribution alors sera l’Enfer, pour y demeurer éternellement. Allah l’a frappé de Sa colère, l’a maudit et lui a préparé un énorme châtiment » [4 ;93]. L’Imam Al Boukhari s’appuie sur ce verset pour réfuter la déviance des kharijites et des moutazilites qui se permettent de renier la « citoyenneté de foi » aux auteurs de péchés, fussent-ils très graves, comme l’est ici le meurtre. Par ailleurs, Al Boukhari, dans son recueil de traditions authentiques, rapporte cette prophétie de l’Envoyé d’Allah qui allait se réaliser quelques trente années après avoir été formulée devant un parterre de fidèles. Selon Abou Bakrah le Prophète (paix et salut sur lui) était un jour sur son estrade en train de prêcher quand il remarqua son petit-fils Al Hassan Ibn Ali qui était là. Il s’interrompit et l’observa un instant puis levant les yeux vers les fidèles il dit : « mon enfant que voici sera un « leader », il réconciliera deux « états » (ta’ifa ‘adhima) de ma communauté qui se feront la guerre ». Remarquons encore dans ce hadith que le Prophète (paix et salut sur lui) n’a pas considéré qu’un seul de ces « états » serait musulman (celui dirigé par Ali) mais bien les deux. Nous avons déjà évoqué l’historicité de cet évènement (cf. notre rubrique histoire musulmane) et y reviendront prochainement lorsque nous traiterons de la biographie de ‘Ali, incha Allah.

La suite du verset évoque le fait que l’une des parties en conflit refuse la paix et persiste dans les hostilités. Dans ce cas il faudra faire le nécessaire afin de mettre hors d’état de nuire la partie belliqueuse jusqu’à rétablir la paix. Anas rapporte que le Prophète (paix et salut sur lui) disait : « aide ton frère qu’il soit opprimé ou oppresseur », puis d’expliquer que dans le second cas, l’aider signifie de l’empêcher de commettre l’injustice [Al Boukhari].

Enfin, le Coran exige du groupe médiateur d’observer l’équité et la justice dans son règlement du conflit, rappelant qu’Allah aime les gens justes. Le hadith nous informe de plus de la place d’honneur qui sera faite aux justes : « les justes de cette vie seront, le Jour du Jugement, dans des loges taillées dans la perle, auprès du Clément, pour la justice dont ils firent preuve dans cette vie » [Mouslim] ; une autre version les décrit comme « ceux qui furent justes dans leurs jugements, avec leurs familles et leurs proches » [Mouslim].

Puis après avoir évoqué cette situation exceptionnelle de conflit, Allah nous rappelle ce principe fondateur de la communauté musulmane :

« Les croyants ne sont rien d’autre que des frères ; veillez à préserver les relations entre vos frères et craignez Dieu afin d’obtenir (Sa) Miséricorde »

Cela signifie que les croyants malgré toutes leurs diversités de couleurs, de langues, etc., malgré les conflits et les désaccords qu’il peut parfois y avoir entre eux, sont et doivent absolument se considérer comme les membres d’une même famille. Ibn Kathir décrit ensuite comment doit se manifester cette fraternité de foi en citant ces hadiths : « le musulman est le frère du musulman, il n’est point injuste envers lui et ne l’abandonne pas » [Al Boukhari], « Allah aidera son serviteur tant que celui-ci cherchera à aider son frère » [Mouslim], « lorsque le musulman prie en faveur de son frère, sans que celui-ci ne le sache, un ange répond : « amen ! et qu’il en soit de même pour toi » [idem], « l’image des croyants dans l’amour et la miséricorde qu’ils se portent est comme celle d’un corps, lorsqu’un membre souffre, c’est l’ensemble du corps qui réagit par la fièvre et l’insomnie » [Idem], « les croyants sont à l’image d’une bâtisse dont les éléments se soutiennent les uns les autres » [idem]. Tous ces hadiths prouvent bien que la fraternité de foi ne doit pas rester une devise théorique ou un slogan, mais doit se ressentir, se pratiquer et se vivre par l’entraide, les prières, les dons, les prises de position etc.

Nous demandons à Allah qu’Il vienne en aide à nos frères partout où ils sont opprimés et souffrent.


Rubrique: Exégèse du Coran