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- 19. Jumādā al-Ūlā 1446

Le tasawwouf ou l’apparition d’un mouvement spirituel


Le propos de notre présent article ne sera point d’appeler ou de dénoncer ce qui est communément qualifié par al tasawwouf (soufisme), mais plutôt d’aborder l’historicité d’un mouvement qui a évolué au fil des âges et qui s’est manifesté à travers différentes contrées. Loin d’être exhaustif notre exposé présentera les grandes lignes du tasawwouf jusqu’à la période abbasside sans oublier de mentionner ses grands foyers ainsi que ses illustres personnages.

Déjà parmi les compagnons du Prophète Mohammad - le salut et la prière de Dieu sur lui - il y avait ceux qui portaient une attention particulière à ce qui se passait dans leur âme lors de l’accomplissement de leurs obligations religieuses et cherchaient à harmoniser l’expérience intérieure avec les actes extérieurs moyennant l’ascèse et le désintéressement du bas-monde. Le développement sociopolitique du monde musulman favorisé par les conquêtes des premiers siècles, provoquait une expansion du luxe qui représentait pour certains le signe d’un don Divin mais également une fitna par laquelle Dieu éprouvait ses serviteurs, peut-être seraient-ils reconnaissant ? Ceci se retrouvait appuyé par le hadith que rapportait Mouslim d’après Abou Sa’îd al Khoudry, le Prophète - le salut et la prière de Dieu sur lui - prononçant un jour un sermon, dit: Certes, par Dieu ! Je ne crains pour vous, ô gens, uniquement les splendeurs qu’Allah vous procurera en ce bas monde. Les représentants du courant ascétique, aspirant à une vie intérieure étaient souvent appelés au 2èmesiècle nâsik ; comme signe extérieur ils portaient de rugueux vêtements en laine symbolisant à la fois la simplicité et la pureté se distinguant ainsi de ceux qui s’habillaient avec de somptueux vêtements.

L’objectif de tout nâsik est de développer une relation sensitive avec Dieu reposant sur la sincérité et dont la finalité est l’amour Divin s’appuyant sur le Coran [5;54] Il les aime et ils l’aiment. Le cheikh Zarrûq nous dit dans Qawâ`id At-Tasawwuf : Le soufisme a été défini, analysé et interprété de plus de deux mille manières, ayant toutes pour dénominateur commun le cheminement sincère vers Dieu, le reste étant des facettes de ce fondement. De manière générale le nâsik était pauvre sur le plan matériel ; sa principale tâche consistait à s’éduquer et à s’exercer à l’autodiscipline afin de supprimer les mauvais penchants de l’égo et de réaliser la soumission parfaite à Dieu (al ‘ouboudiyya). Hassan al Basrî (m.110/732) contribuera énormément à l’expansion du mouvement grâce à ses cercles.

C’est à partir du 2ème siècle, dans un premier temps à Basra que le soufisme se dotera d’une base solide, scientifique qui tentera de justifier sa légitimité grâce au Coran et à la Sounnah. Une littérature importante se développera mais la majorité de celle-ci ne nous est pas parvenue : on notera la qualité des livres d’al Hârith al Mouhâsibî (m.243/857) qui développera une science d’introspection scrupuleuse d’une grande subtilité. Progressivement le centre de gravité se déplacera de Basra à Bagdad ; la figure qui incarnera presque toute l’idéologie du soufisme ultérieur sera celle d’al Junayd (m.298/910). Le rayonnement de sa pensée sera tel que même ceux qui ne se réclament pas du soufisme l’admettent comme un modèle. Parmi les grandes figures de la région on mentionnera Abou Sa’îd al Kharrâz (m.279/892), Sahl al Tustarî (m.283/896), Abou Bakr al Wâsitî (m.320/932) ; ce dernier, élève d’al Junayd, était beaucoup plus actif à l’est vers le Khorâsân où se développèrent des centres importants du soufisme notamment à Naysabour. Sans doute, l’œuvre la plus complète qui nous soit parvenu sera celle d’Abou al Qassim al Qushayrî (m.465/1074) avec sa célèbre Rissâla. Le soufisme classique trouvera un certain aboutissement avec l’action d’al Ghazâlî (m.555/1111) dans son livre Ihyâ ‘ulûm al dîn qui donne une synthèse des sciences théologiques et du soufisme.

Bien qu’ayant connu d’illustres personnages, le soufisme n’a pas été épargné des déviations en tous genres ; le fait d’avoir opposé son enseignement à celui des sciences théologiques notamment la jurisprudence et le hadith, provoquera de nombreuses innovations religieuses et parfois même de l’hérésie. Dans l’enseignement originel, la sharî’a devait encadrer le travail sur l’égo qui s’appliquait dans le cadre de la tarîqa et qui permettait d’attendre la réalité spirituelle alhaqîqa.

Et Dieu est plus savant…


Rubrique: Histoire musulmane