Allah le Très Haut dit : Ô gens du Livre, n’exagérez pas dans votre religion… [4;171]. Il s’adresse ainsi en premier lieu à ceux qui exagérèrent en matière de croyance, parmi les gens du Livre, en attribuant à certains de leurs prophètes des qualités que seul Allah possède, ou en leur vouant un culte. Dans un second temps, c’est à nous, musulmans, qu’il s’adresse en nous mettant en garde contre l’exagération dans la religion, qu’elle soit au niveau de la croyance ou au niveau des œuvres. Ceci est confirmé par la parole du Prophète, paix et salut sur lui : Prenez garde d’exagérer dans la religion, car l’exagération dans la religion a perdu vos prédécesseurs [Ibn Majah, auth. Ibn Taymiya]. Allah le Très Haut dit dans un autre verset : Dis : Voulez-vous que Nous vous apprenions ceux dont les œuvres sont vouées à l’échec, ceux dont les efforts dans cette vie, s’en vont en pure perte, tandis qu’ils présument faire le bien ? [18;103-104]. Il décrit ainsi ceux qui L’adorent par un culte qu’Il n’agrée pas, ceux que l’on présume religieux mais dont les œuvres seront rejetées. Ces gens sont ceux qui adorent Allah sans savoir, sans guidée et sans clairvoyance ; ceux dont la croyance ou les œuvres ne sont pas conformes à ce qu’Allah a révélé. Ali Ibn Abi Taleb, Al Dahak, et nombre de savants des premières générations, considèrent que ce verset fait allusion au mouvement kharijite [al khawaridj], un mouvement qui s’est fait connaître pour son extrémisme et ses exagérations dans la religion.
Le premier d’entre eux apparut du vivant de l’Envoyé d’Allah, paix et salut sur lui. Il se nommait Dhou Al Khouwaysira. Le compagnon, Abou Saïd Al Khoudri, l’a décrit comme un homme aux yeux enfoncés, aux joues saillantes, au front bombé, à la barbe épaisse, aux pans de vêtement retroussés et à la tête rasée [Al Boukhari & Mouslim] : il avait l’apparence d’un homme religieux. Un jour, que l’Envoyé d’Allah, paix et salut sur lui, avait fait un don à quelques-uns de ses compagnons, certains remirent en cause son jugement en disant : Nous avons plus de mérite que ceux-là ! Quand cela parvint au Prophète, paix et salut sur lui, il s’en étonna : Comment se fait-il que vous n’ayez pas confiance en moi, tandis que Celui qui est au ciel [Allah] a confiance en moi…. C’est à ce moment, que ce misérable, Dhou Al Khouwaysira, se leva et interpella l’Envoyé d’Allah, paix et salut sur lui, en lui disant : Sois équitable, ô Mohammad, et crains Allah, car ce n’est pas là un partage au travers duquel on recherche le Visage d’Allah. Voyez comme cet ignorant, insolent, s’est cru plus pieux et plus instruit que le meilleur des hommes ! Comment il s’est permis d’interpeller par son nom, celui au sujet duquel Allah a révélé : Ô vous qui avez cru ! N’élevez pas vos voix au-dessus de la voix du Prophète, et ne haussez pas le ton en lui parlant, comme vous le haussez les uns avec les autres, sinon vos œuvres deviendraient vaines sans même que vous vous en rendiez compte [49;2]. Ensuite, le Prophète, paix et salut sur lui, annonça à ses compagnons qui avaient été témoins de la scène, qu’il viendrait dans la suite de cet individu une faction d’apparence musulmane, qui priera, jeûnera, et lira le Coran avec tellement de zèle, que même les compagnons, et ceux qui suivent leur voie, auront l’impression que leurs œuvres seront négligeables comparées aux leurs [Mouslim]. Pourtant, reprit l’Envoyé d’Allah, paix et salut sur lui, leur récitation [si belle soit elle] ne dépasse pas leur gosier, c’est-à-dire qu’ils ne comprennent rien aux Textes et les interprètent mal, et ils s’écartent de l’Islam comme la flèche qui transperce sa cible de part en part [Al Boukhari & Mouslim]. L’Envoyé d’Allah, paix et salut sur lui, nous a, de plus, informés que cette faction déviante et dangereuse réapparaîtrait plus d’une vingtaine de fois, dans l’histoire musulmane, jusqu’à ce que l’antéchrist sorte à leur tête [Ibn Majah & Ahmad, hassan]. Il les a décrit, paix et salut sur lui, en disant que le rasage de la tête est l’un de leurs signes distinctifs [Al Nassaï, Sahih] et qu’ils sont jeunes et ont l’esprit sot [Al Boukhari]. Les savants expliquent que ce mouvement est composé principalement de jeunes débutants dans la religion, dont les caractéristiques sont le manque d’instruction religieuse, le manque de maturité, le zèle et l’empressement. Il nous a enfin exhorté, paix et salut sur lui, à leur faire face et à lutter contre eux à chaque fois qu’ils se manifesteraient, promettant la récompense de l’au-delà à qui s’opposerait à eux [Al Boukhari & Mouslim].
C’est durant le khalifat de ‘Ali que cet égarement se manifesta pour la première fois sous forme d’un véritable mouvement. Comme du temps du Prophète, paix et salut sur lui, il s’agissait d’un groupe de musulmans orgueilleux qui se pensaient mieux guidés que le détenteur légitime de l’autorité spirituelle et politique, qu’était Ali Ibn Abi Taleb, le quatrième khalife bien-guidé de l’Islam et le cousin du Prophète, paix et salut sur lui. Ces ignorants aveuglés par leur apparence et le surcroit de leurs œuvres d’apparence pieuse, remirent en cause une décision politique du khalife Ali, et son interprétation juste du Livre d’Allah. Ces gens, qu’Allah nous préserve de leur mal, s’appuient sur le Coran et la Sounnah, mais selon une interprétation fallacieuse et sortent les textes de leurs contextes. Ils feignent la piété et prétendent rechercher la satisfaction d’Allah, au travers de leurs propos comme lorsque Dhou Al Khouwaysira exhorta l’Envoyé d’Allah, paix et salut sur lui, à craindre Allah et à être juste ! Ils s’écartèrent donc de la masse des musulmans, firent scission d’avec la communauté, et fondèrent la première secte musulmane. Ceux qui persistèrent dans leur égarement, allèrent jusqu’à taxer Ali et ses partisans d’hérétiques [koufar] et finirent par assassiner le Khalife, qu’Allah lui accorde satisfaction !
Bien entendu, kharijites [khawaridj] n’est pas le nom qu’ils se donnèrent eux-mêmes. Ce sont les savants de l’Islam qui les appelèrent ainsi du fait qu’ils sortirent [kharajou] pour combattre Ali. Eux se donnaient le nom d’al Chouraah, ‘ceux qui ont fait commerce de leurs âmes à Allah’ ; afin de se vanter [tazkiya] et de se distinguer du reste des musulmans, qu’ils jugeaient égarés, tandis qu’eux étaient supposés être les seuls partisans de la vérité ! Ils furent ainsi les premiers à innover en s’attribuant un autre nom que celui qu’Allah a choisi pour nous, à savoir, les musulmans. Ibn Hazm a dit que toute faction ou tout groupe d’entre les musulmans qui leur ressemble mérite d’être considéré comme kharijite, quel que soit le nom qu’il se donne.
Leurs signes distinctifs :
(1) L’exagération et le rigorisme dans la pensée et les actes,
(2) la concentration sur l’apparence au dépend du fond,
(3) la concentration sur les sujets secondaires [al fourou’] et la négligence des principes essentiels [al oussoul],
(4) la contestation de l’autorité du ou des responsables légitimes de la communauté ; qu’il s’agisse des gouverneurs justes, ou des savants bien-guidés,
(5) l’interprétation erronée des textes,
(6) l’attitude sectaire et l’éloignement du reste de la communauté,
(7) le recours à l’excommunication [al takfir] et au tabdi’ en accusant ceux qui s’opposent à eux et qui divergent avec eux, d’incroyance ou d’être des innovateurs, alors que c’est cette attitude même qui constitue une innovation blâmable.
Et Allah sait mieux !