Le mois dernier, nous avons présenté l’objectif de notre rubrique exégèse (tafsir al ‘oulama) et rappelé la valeur de l’exégèse auprès des premières générations. Nous avons également donné un aperçu non exhaustif des exégèses classiques dans la littérature islamique. Nous continuons donc ici, incha Allah, en nous intéressant cette fois aux tafsirs contemporains puis aux exégèses que les savants ont rejetées.
Quelques tafsirs contemporains.
Au cours du18e siècle un renouveau de la pensée musulmane se mit à émerger et se prolongea tout au long du 19e et du 20e siècle. Ce renouveau fut suscité par la situation calamiteuse dans laquelle se trouvait le monde musulman. En effet, au cours des siècles, les musulmans avaient peu à peu perdu de leur ingéniosité et de leur prestige : l’imitation aveugle (taqlid) plutôt que l’activité intellectuelle (ijtihad) était devenue la règle, la terre de l’Islam était dans son ensemble gouvernée par des hommes médiocres sans grande valeur tandis que l’Occident affirmait chaque jour un peu plus sa puissance et son génie face à un monde musulman en plein déclin. C’est dans ce contexte que des savants en différents lieux et différentes époques tentèrent de revivifier la pensée musulmane, conscients que la crise était avant tout morale. Allant dans le sens de ce réveil islamique, de nombreuses exégèses furent écrites au 20e siècle afin de tenter de réconcilier les musulmans avec l’étude du Livre car le Coran est une source de savoir intarissable. Parmi ces tafsirs on peut en citer deux qui ont grandement influencé les musulmans.
Tout d’abord, le tafsir al manar compilé par le savant égyptien Mohammed Rachid Reda (m.1935) sur la base des enseignements reçus de son cheikh Mohammed Abdou (m.1905) avec quelques ajouts de sa part et qui couvre les douze premiers jouz du Coran. L’idée de l’école de pensée al manar était de montrer que l’Islam avait son propre système de pensée différent des autres philosophies et qu’il devait au sein de la modernité retrouver sa place originale.
Un autre tafsir ayant influencé les musulmans; et particulièrement en orient, est celui de Sayyed Qoutb (m. 1966) : à l’ombre du Coran (fi zilal al Qur’an). Celui-ci couvre l’ensemble du texte coranique. Il fut écrit en grande partie durant l’emprisonnement de son auteur entre 1954 et 1964 dans l’Egypte d’Abdel Nasser puis complété avant qu’il ne fusse exécuté pour ses idées. Le but de Sayyed Qoutb dans son tafsir est de montrer aux musulmans contemporains la véritable nature de l’Islam et de les appeler à se reformer au niveau individuel et collectif.
Enfin, nous citerons aussi le savant réformateur tunisien Tahar Ibn ‘Achour (m.1973) qui a laissé l’une des meilleures exégèses contemporaines du Coran intitulée tahrir wa tanwir (la libération et l’illumination). Celle-ci a été écrite sur plusieurs décennies et publiée en trente volumes ! La méthode de Ibn ‘Achour consista tout d’abord à extraire le meilleur des tafsirs passés, puis, dans le même temps, le cheikh tenta de porter un regard critique sur ceux qui l’avaient précédé dans l’exégèse et d’apporter sa contribution pour un renouveau de l’étude coranique et de la pensée musulmane. Selon lui, se contenter de répéter des propos déjà tenus antérieurement au niveau de l’exégèse constitue un obstacle devant le flot intarissable du Noble Coran.
Les tafsirs douteux.
Certaines exégèses ont été en partie voire totalement rejetées par les savants et ce pour une ou plusieurs raisons : elles ne respectent pas les règles du tafsir, un trop grand nombre de récits non véridiques y sont rapportés, la croyance de l’auteur (‘aqida) n’est pas correcte, etc. C’est le cas par exemple du tafsir de Zamarchari (m.538H) appelé al kachaf (le découvreur) où l’interprétation du Texte se fait surtout au moyen de la grammaire arabe et de la lexicographie et donne beaucoup moins d’importance aux chaines de transmission. Ce tafsir se distingue surtout par l’éloquence de son propos ; ce qui lui donna un certain prestige auprès des intellectuels. Cependant, ce tafsir est basé sur une approche mou’tazilite de la croyance musulmane, un groupe déviant de l’Islam. Il s’y trouve de nombreuses innovations. Ibn Hajar dit que celui qui connait bien le dogme des sunnites ainsi que les divergences avec les sectes musulmanes peut tout de même tirer profit de ce tafsir. Dans le cas contraire, le lecteur risque d’intégrer des idées fausses ou incorrectes. C’est la raison pour laquelle certains savants comme Al Baydhawi (m.685H) ont commenté cette exégèse en critiquant les erreurs présentes au niveau du dogme et ce, afin de permettre aux étudiants de profiter de sa qualité en matière de langue arabe.
Enfin, dans la catégorie des tafsirs bi-ichara [qui s’intéresse aux sens plus subtils du Coran], le tafsir de Mouhyidin Ibn Arabi (m. 638H) a été rejeté dans sa globalité. Bien que grand adorateur, le tafsir qu’il a écrit contient des propos pour le moins tendancieux, et qui ont possiblement été introduits et ajoutés par des personnes malhonnêtes, après la mort d’Ibn ‘Arabi. Ce type d’exégèse ne peut profiter aux musulmans.
Et Allah sait mieux.